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27/09/2025

La célébration de l’"Aid-Thamachtouhth" ou "Aid-El-Fitr" dans mon village

Introduction

En Kabylie, l’"Aid-Thamachtouhth" – appelé aussi "Aid-El-Fitr" – ne marque pas seulement la fin du Ramadhan : il représente un moment de communion, de transmission et de célébration collective. À travers ses rituels et coutumes, elle réaffirme les liens sociaux et familiaux tout en ancrant profondément l’identité villageoise.

La veille de l’Aïd : le marché de "Thaswiqth"

Dès l’aube, les hommes se rendent au souk, parfois accompagnés de leurs fils. À pied ou sur le dos de mulets, ils parcourent les sentiers pour acquérir viandes, légumes et denrées destinées aux repas de fête. Le village, déserté par ses hommes, devient pour quelques heures le royaume des femmes et des enfants.

Le rôle des femmes : sanctuaire et célébrations

Vêtues de leurs plus belles parures, les femmes entament la journée par une visite au sanctuaire du saint protecteur. Chacune formule une prière personnelle : un fils pour celle qui n’a que des filles, un époux pour la célibataire, le retour du mari émigré pour l’épouse seule. En quittant la "Thakoubets"*, elles allument une bougie et déposent une offrande.

Ensuite, elles se retrouvent dans la grande « Djemaa »*, où chants, danses et rires éclatent librement jusqu’au retour des hommes.

Retour des hommes et dernier "Ftour"

À leur arrivée du marché, les hommes confient leurs achats (« Achwari »*) à leurs épouses qui sélectionnent ce qui servira au dernier repas de rupture du jeûne. Tandis que l’homme se repose, la femme s’affaire déjà aux préparatifs du lendemain.

La veillée : préparatifs de l’Aïd

Après le "Ftour", les hommes se rassemblent pour jouer aux dominos ou au loto, tandis que les femmes, aidées de leurs filles et belles-filles, s’activent :

  • préparation de la pâte des beignets ("Lasfendj"),

  • mesure de la "Fethra" * (dîme en semoule),

  • confection des friandises pour les enfants,

  • allumage rituel des bougies dans chaque pièce.

La maîtresse de maison ("Thamgharth" *) veille tard dans la nuit pour frire les beignets dans l’huile d’olive bouillonnante.

L’aube de l’Aïd : chants et partages

Aux premières lueurs, les enfants parcourent le village en chantant "Awid-Aylaw" ("Donne-moi ma part"). Chaque foyer leur offre friandises, gâteaux et œufs durs. Certains villageois préfèrent se rendre directement au cimetière pour partager ces offrandes auprès des sépultures des défunts.

La "Fethra" et la solidarité villageoise

Avant la prière, chaque homme dépose sa "Fethra" entre les mains du "Tamen" *, chargé de la distribuer aux nécessiteux, mais aussi à l’imam. Jadis, celui-ci vivait essentiellement de ces dons et de l’hospitalité des villageois : part dans les récoltes, offrandes, et petites sommes perçues lors des cérémonies religieuses ou par la confection d’amulettes protectrices.

La prière et les retrouvailles

Au lever du jour, l’"Adhan" appelle les fidèles à la mosquée. Après la prière collective et les invocations, chacun regagne son foyer dans une ambiance de fraternité.

À midi, le repas de fête rassemble la famille autour d’un couscous garni de viande. Les tantes paternelles (" Thiwiliyine") et les filles mariées au village sont invitées. Le lendemain, les visites se prolongent chez les filles mariées à l’extérieur, accompagnées d’une part de viande, de friandises et d’un billet en signe d’affection.

La valeur des visites familiales

Ces visites entretiennent les liens avec les filles mariées en dehors du village et leur confirment leur place dans le cercle familial. Lorsque les visites se raréfient, certaines expriment leur mélancolie dans de poignants poèmes, tel celui-ci :

"A thighrivine ad3oumth Rebbi adyafk es’shou
  Thine isâane agmas achqiq, oulaboud ad’yanoulfou
Mi d’yakka agmi n’tabourth, yekkès elkhiq, yekkès oughounzou."

Conclusion

La célébration de l’"Aid-Thamachtouhth" en Kabylie dépasse la dimension religieuse pour devenir une véritable institution sociale. Entre rites collectifs, partages alimentaires, moments de joie et renforcement des liens familiaux, cette fête traduit un attachement profond à la communauté et à ses traditions séculaires.


Notes

  • Thakoubets : petit sanctuaire contenant le tombeau d’un saint vénéré.

  • Djemaa : assemblée ou maison commune du village.

  • Achwari : panier ou fardeau rapporté du marché.

  • Fethra : contribution en semoule destinée aux pauvres et à l’imam, équivalent de la zakat al-fitr.

  • Thamgharth : maîtresse de maison, femme d’autorité dans la famille.

  • Tamen : responsable du village chargé de la collecte et de la redistribution de la Fethra.


Source : Quelques Us et Coutumes de Kabylie. Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaïa, octobre 2011.