26/09/2025
Khali Kaci, l’oncle paternel de ma mère
Khali Kaci était l’oncle paternel de ma mère. C’était un homme raffiné et cultivé pour son époque, respecté pour sa sagesse et pour son grade de capitaine dans l’armée française, obtenu de haute lutte. Mes sœurs et moi l’appelions affectueusement Khali KACI.
À l’hiver 1954, il décida de m’emmener chez lui à Alger. Ce serait mon deuxième voyage pendant les vacances. Ma mère, profondément attachée à moi et marquée par le traumatisme de la perte de son frère à l’âge de dix ans lors d’un voyage au Maroc, tenta en vain de retenir ses inquiétudes. Khali Kaci, perceptif, essaya de la rassurer et lui suggéra même de nous accompagner. Mais, contrainte par ses responsabilités familiales, elle ne pouvait quitter le village. Elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et me laissa partir pour une semaine.
Pour moi, c’était le début d’une semaine de rêve à Alger. Partir d’un petit village kabyle aux ruelles boueuses pour découvrir la plus grande ville du pays, avec ses larges boulevards pavés, ses magasins lumineux, la mer bleue et ses bateaux imposants, et le flot incessant de voitures et de passants pressés, fut un choc éblouissant. Habitué au calme et aux grands espaces de ma montagne, je n’arrêtais pas de questionner mon oncle, avide de tout comprendre.
Il habitait une belle villa avec un jardin luxuriant à Kouba. Dans sa chambre, une grande armoire brillante ornée d’une immense glace me fascina. Me voir en entier pour la première fois dans un miroir si grand contrastait avec celui minuscule que ma mère avait acheté à un colporteur, destiné surtout à mon père pour se raser.
Deux jours avant mon retour, Khali Kaci et son épouse, Khalti Yamina, m’emmenèrent au centre-ville. Ils m’achetèrent de beaux vêtements : costume, chemise, petite cravate, gilet en laine, chaussures aux semelles de crêpe et un joli béret. Tout de neuf vêtu, nous nous dirigeâmes vers un bâtiment dont la porte en verre brillait de mille feux. À l’intérieur, une salle remplie de fauteuils faisait face à un mur blanc immaculé. Lorsque les lumières s’éteignirent, des images colorées apparurent sur le mur. C’était la première fois que je voyais un film. Trente-cinq ans plus tard, en revisitant ce lieu devenu le cinéma Dounyazad, l’émotion me submergea et de grosses larmes inondèrent mon visage.
À la sortie, nous visitâmes le photographe juste en face. La photo prise ce jour-là, immortalisant ces instants magiques, trône toujours au mur chez nous, dans son cadre d’origine, portant à l’arrière la griffe de Khali Kaci : Ould Hamouda Kaci, Capitaine de l’armée française.
Mon oncle, qui n’avait pas eu d’enfants, nous entourait d’un amour débordant, ma sœur Ouerdîa et moi. Lorsqu’il venait au village, toujours vêtu « à la Française », costume croisé, insigne rouge de la Légion d’honneur et fez écarlate, il consacrait ses journées à accueillir les cousins venus lui souhaiter la bienvenue. Sa présence animait la maison, qui grouillait de monde et accueillait toujours un ou deux invités à dîner.
Un jour, il arriva avec de gros cartons et demanda de les manipuler avec soin. Curieux, je sautillais d’impatience. Tard le soir, il les ouvrit : à l’intérieur, des boîtes en acajou contenant un poste radio, un tourne-disques et une trentaine de 78 tours des meilleurs chanteurs de l’époque tels que Slimane Azem, Hasnaoui, Zerrouk Alloua et Chérifa. Émerveillé, je ne cessais de les observer. Mon oncle fabriqua un petit meuble à trois compartiments pour les ranger. Lorsqu’il fit fonctionner le tourne-disques, la voix chaude de Bahia Farah en duo avec Slimane Azem résonna, et Nana se vit taquinée par une chanson dédiée par Khali, provoquant nos éclats de rire.
À cette époque, nous étions l’une des rares familles du village à posséder un tel matériel. Mon grand-père maternel, lui, désapprouvait le bruit de la radio, surtout lorsqu’il entendait une voix féminine. Ses cris et coups de colère résonnaient : « Sanss el bost ! », « Éteignez le poste ! ».
Par une journée caniculaire de juillet 1959, Khalti Yamina, accompagnée de Dda Salah Ath Lamine, ramena Khali KACI mourant dans un brancard. Après trois jours d’agonie, il rendit son âme au Créateur, au moment où l’opération « Jumelles » menée par l’armée coloniale battait son plein. Le village était consigné, et tous les hommes valides transportés à Ait Saada. Après de longues négociations, l’officier français autorisa enfin son enterrement, mais sans cérémonie religieuse, le temps imparti étant trop court. Repose en paix, Khali.
À la fin de l’enterrement, Dda Salah fut arrêté et envoyé rejoindre les autres villageois, soumis à des corvées avilissantes pendant plus d’un mois. Après l’indépendance, la tombe de Khali fut dignement construite selon les rites de notre religion.
Source : Ma vie ou mes souvenirs. Recueil de Youcef Aït-Mohand, Béjaïa, octobre 2011.
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