28/09/2025
Hommage à la femme kabyle (Naissance – Éducation – Mariage)
Dans de nombreuses familles kabyles traditionnelles, la naissance d’une fille fut longtemps perçue comme une fatalité, presque comme une punition céleste. Là où l’arrivée d’un garçon était accueillie par des réjouissances, celle d’une fille passait inaperçue. Quelle que fût son intelligence, sa beauté ou sa bravoure, elle ne pouvait rivaliser avec le statut accordé au garçon.
Le garçon mettait le burnous, portait le fusil, siégeait à la Djemâa, participait aux travaux collectifs, fréquentait le marché. La fille, elle, était destinée à « remplir la maison d’autrui » — Atrouh atâamer akham meddene.
Dès l’âge de six ou sept ans, la fillette entrait dans la vie active. Elle apprenait à puiser l’eau et à porter la cruche, à ramasser des fagots, à pétrir la pâte, à rouler le couscous, à entretenir la maison et à s’occuper des animaux. Plus tard, elle s’initiait au tissage : couvertures (Alawene, Adhilene), burnous (Ivernyass), autant de tâches qu’elle maîtrisait sous l’œil vigilant de sa mère.
À quatorze ou quinze ans, la jeune fille était jugée « accomplie » (Atqavel akhamis), prête à affronter les responsabilités du foyer. Les femmes intermédiaires (Thinakhdhavine) affluaient alors pour la demander en mariage. Les pères négociaient les modalités de l’union : dot, date des noces, conditions matérielles.
Les préparatifs mobilisaient les femmes du voisinage. L’Aâdha — assortiment de gâteaux, fruits secs et friandises — était soigneusement confectionnée et gardée jusqu’au jour du départ. La cérémonie restait cependant modeste, car il n’était pas convenable de trop festoyer lorsqu’on « donnait » une fille.
Le proverbe dit :
- "Yefka yellis, yerna thamaghra dh’goukhamis". Il a donné sa fille et a fêté chez lui.
Le cortège venait chercher la mariée au son des youyous et des prières de sa mère :
- "Rouh a yelli akmihenni Rebbi, adh’yâamar Rebbi amourime". (Va ma fille, que Dieu veille sur ton bonheur et comble ton destin).
1. L’exemplarité de la femme kabyle
La femme kabyle, loin d’être seulement épouse ou mère, incarnait la solidité du foyer. Même privée d’enfants, elle montrait une grandeur rare : certaines allaient jusqu’à proposer à leur mari de prendre une seconde épouse pour assurer la descendance. La maison restait toutefois sous son autorité et la nouvelle venue n’avait qu’un rôle subalterne.
Respectée à tout âge, la femme kabyle détenait une forme d’autorité morale. On raconte qu’une simple intercession — jeter son foulard entre deux hommes qui se battaient — suffisait à mettre fin à la querelle. Le proverbe est resté : "L’Aânaya n’etmatouth thaghlev kra yellane." (L’intercession de la femme est inviolable).
Au quotidien, elle était partout : aux champs comme au foyer, au tissage comme à l’élevage, dans la cuisine comme dans l’éducation des enfants. Elle était véritablement la poutre maîtresse de la maison : "Tagoujdhith talemmasth".(La femme est la poutre centrale).
2. Le « congé » de la femme (Thirdzaff)
Dans les coutumes anciennes, chaque belle-fille mariée avait droit, une fois l’an, à un « congé » qu’elle passait chez ses parents. Ce n’était pas son mari mais son frère ou son père qui venait en faire la demande au beau-père (Amghar).
Le départ se faisait avec une grande émotion : enfants et bagages étaient chargés sur un âne, tandis que la femme marchait à pied, heureuse à l’idée de retrouver sa famille. Chez ses parents, elle était accueillie comme une reine. Après un mois de repos, elle repartait chargée de présents (Tharzefth) et regagnait sa maison.
3. La répudiation
La répudiation (Thlatha fi thlatha) constituait l’ultime sanction. Elle survenait souvent à la suite de tensions entre la belle-mère et la bru, la première exerçant une autorité considérable. Les causes invoquées pouvaient être multiples : stérilité, mauvaise entente, négligence domestique ou encore simples humeurs.
Une fois prononcée, la femme répudiée rentrait chez ses parents. Dans les usages anciens, elle ne pouvait se remarier sans le consentement de son ex-mari, ce qui revenait parfois à l’« hypothéquer » (Irahnits). D’où cette expression de défi :
- "Wiss yennane thevra, yaghits !" (Que celui qui prétend qu’elle est répudiée, l’épouse !).
Conclusion
Par-delà ces coutumes parfois rudes, la femme kabyle demeure la véritable gardienne du foyer, garante de la transmission des valeurs et de la cohésion familiale. Elle est l’âme de la maison et la mémoire vivante du village.
Source : "Quelques Us et Coutumes de Kabylie". Recueil non publié de Youcef Aït-Mohand, Béjaïa, octobre 2011.
18:12 Publié dans Culture, Us et coutumes de kabylie | Lien permanent | Commentaires (0)
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