26/09/2025
El-Aîd Thamoqran’t : Entre Tradition, Joie et Vie Villageoise en Kabylie
El-Aîd Thamoqran’t est, pour l’Islam sunnite, la plus grande fête religieuse. Elle célèbre l’accomplissement du cinquième pilier de l’Islam : le pèlerinage à la Mecque. Par le sacrifice du mouton, elle perpétue la mémoire de Sidna Ibrahim El Khalil, auquel Dieu avait demandé d’immoler son fils, Sidna Ismaïl. Mais, face à sa soumission exemplaire, Allah, dans sa miséricorde, ordonna qu’un bélier du Paradis soit sacrifié à la place de l’enfant. Ce geste est depuis élevé au rang de Sunna sûre et véridique (Mouäkada).
Comme pour El-Aid Thamachtouhth, El-Aid Thamoqran’t commence la veille avec Thasouiqth, le jour du marché. C’est une journée unique, pleine de vie et de couleurs. Les enfants, vêtus de neuf, courent et crient dans les rues, tandis que les femmes, libérées de la présence masculine, prennent possession du village.
Seuls quelques vieillards restent pour palabrer à l’ombre du vieux frêne, près de l’aire à battre. Les femmes, parées de tissus éclatants, règnent sans partage. Dans la Djemaa, les youyous retentissent, et elles se rendent avec dévotion à la Ziara, pour renouveler leurs prières et formules adressées au saint gardien de Thadarth, espérant voir leurs souhaits se réaliser.
La demi-journée s’écoule vite, et le retour des hommes annonce la fin de cette autonomie féminine. Les femmes regagnent leurs maisons, rient et s’apprêtent à accueillir leurs maris. Les hommes, quant à eux, déballent les achats du marché, laissant les épouses gérer leur usage.
Le soir, au souper de Thasouiqth (Imensi n’Tasouiqth), Thamgharth et ses brus préparent un couscous accompagné de viande de bœuf, auquel sont conviées les tantes paternelles et les filles mariées. L’ambiance est joyeuse et familiale.
Le lendemain, jour de l’Aïd, après la prière, le sacrifice du mouton est un moment attendu par tous, en particulier par les enfants qui guettent la vessie gonflée pour en faire un ballon. Les hommes s’occupent de la carcasse, tandis que les femmes et les filles partagent les tâches : lavage des tripes, grillade de la tête et des pattes (Bouzellouf), préparation des galettes pour le repas de midi. L’odeur de la viande brûlée envahit le village, et l’instinct primaire de la fête carnée prend parfois le pas sur la dimension religieuse de l’Aïd.
À midi, la famille se rassemble autour d’un repas copieux : grillades, foie, cœur, rognons, œufs durs, galettes chaudes arrosées d’huile d’olive. Ensuite, l’homme, burnous blanc sur les épaules, se rend lentement à la Djemaa pour vanter la qualité de son mouton. Les dialogues fusent :
- Yelha kra ikerik ? demande un cousin.
- Ikeriw ? Mazal ouryarziyara, aksoumiss dhayafk !
- Oula dh’nek yâani elhamdoulilah, dh’ikeri entikhssiw, nek ithidirabane !
- Al âid at’âadi am’addhou, awid kane lahna dh’essaha.
- Anâam, adyafk rebbi lahna. Inchaallah ar qavel mathoufayaghd !
- Inchaallah agh’daf dh’ilkhir.
Les discussions s’éternisent dans la Djemaa, tandis que les femmes poursuivent la préparation du dîner : couscous à la tête et aux pattes de mouton, sauce blanche bien grasse. Le lendemain, ce sont les tripes (Thifwadhine) qui sont dégustées.
Deux jours après l’Aïd, vient le moment de Anegzoum Imaslakh, le dépeçage minutieux de la carcasse. Chaque partie de la viande est soigneusement attribuée : salée et séchée pour l’Achoura, offerte aux nécessiteux, ou réservée pour des couscous et plats familiaux. Les morceaux nobles, comme le cou (Thizli) et la queue, sont des exclusivités réservées au mari.
Le dernier souper de l’Aïd (Imensi Ounagzoum-Imaslakh) rassemble encore une fois la famille dans la joie, marquant la clôture des festivités. Les parents visitent ensuite leurs filles mariées hors du village, leur offrant une épaule de mouton, des beignets, et, discrètement, un billet de banque, symbole d’affection et de soutien.
À la fin, il ne reste de la fête que la peau du mouton, soigneusement salée et conservée, comme souvenir tangible d’un moment de joie, de dévotion et de traditions transmises de génération en génération.
Bonne fête à tous, et à l’année prochaine, Inchaa-Allah !
Source : Quelques Us et Coutumes de Kabylie, recueil inédit de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia, octobre 2011.
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