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27/09/2025

Tassaft-Ouguémoun, mémoire d’un village de Kabylie

En quittant Tizi-Ouzou vers l’est, après quatre kilomètres, le voyageur atteint le carrefour d’Oued-Aissi. Deux routes s’offrent alors à lui : l’une mène à Azazga, Azeffoun et Béjaïa, l’autre bifurque à droite vers le sud-est, en direction des gorges de Takhoukht.
C’est cette seconde route qu’il faut prendre pour s’enfoncer dans les sinuosités verdoyantes de l’oued Aissi. Au bout du parcours, le pont de Takhoukht dévoile une vue saisissante : face à soi, le majestueux Djurdjura se dresse tel un rempart protecteur.

En traversant le pont et en empruntant la RN 30, la route s’élève pendant près de vingt-neuf kilomètres, menant au col de Tizi-N’Koulal, dominé par le sommet de Lalla Khedidja. Sur ce chemin jalonné de sanctuaires – El-Hadj Belkacem, Sidi Ahmed Ouzeggane et Cheikh Mohand Oulmokhtar – le visiteur croise les traces spirituelles et culturelles d’une Kabylie profondément enracinée dans sa mémoire religieuse.

Après treize kilomètres, à l’intersection des Ath-Yanni et de Souk-El-Djemâa, dite « La Tranchée », la route se poursuit. Deux kilomètres plus loin, juste après le dernier virage d’Ath-Eurbah, apparaît Tassaft-Ouguémoun, posé sur sa colline, berceau de tant de souvenirs et de vies.

Origine et symbolique du nom

Tassaft-Ouguémoun, qui signifie littéralement « le chêne du monticule », doit son nom à un arbre majestueux qui se dressait autrefois au sommet de la colline de Sidi-Ali Bounab, cimetière du village. Ce chêne, repère pour les voyageurs et objet de croyances féminines, symbolisait la continuité et la protection. À ses côtés poussait un micocoulier généreux, dont les fruits faisaient la joie des enfants. Tous deux disparurent dans les incendies dévastateurs des années 1990, emportant avec eux une part de la mémoire végétale et sacrée du lieu.

Un village au fil de l’histoire

Durant la colonisation, dans les années 1940, Tassaft fut le siège d’un centre municipal rattaché au douar Ouacifs et à la commune mixte du Djurdjura. Après l’indépendance et le découpage administratif de 1967, il fut élevé au rang de commune regroupant plus d’une vingtaine de villages. Cette organisation se maintint jusqu’en 1985, date à laquelle Tassaft-Ouguémoun fut scindée en trois nouvelles communes : Akbil, Iboudrarène et Yattafène.

Pendant la guerre d’Algérie, le village occupa une position stratégique. La RN 30, qui traverse son centre, fit de lui un lieu convoité : une Section Administrative Spécialisée (SAS) et une caserne de gendarmerie y furent installées, servant de poste de commandement au 7ᵉ bataillon des chasseurs alpins. Une piste pour hélicoptères fut aménagée à Thighilt Ath-Ouahioûne, devenu plus tard le carré des martyrs.

Organisation sociale et familles

Selon l’organisation ancestrale, la population de Tassaft-Ouguémoun – aujourd’hui environ 1 250 habitants, sans compter la diaspora – est répartie en quatre grands adhroum (quartiers lignagers) :

  • Adhroum Ath-Hamoudha : familles Aït-Hamouda, Ould-Hamouda et Aït-Mohand.

  • Adhroum Ath-Warab : familles Ouahioune (sauf « Ath-Mohand-Arav »), Hareb et Zeggane.

  • Adhroum Ath-Dahmane : familles Aït-Mouloud, Aït-Ouahioune, Bacha, Ouahioune (« Ath-Mohand-Arav »), Messaoudi et Ouarez.

  • Adhroum Ath-Ouamara : familles Aït-Slimane, Ammour, Benkaci, Bouabdellah, Yousfi, Benamer et Guehlouz.

Après l’indépendance, des familles venues d’ailleurs s’installèrent dans les locaux laissés par l’administration coloniale, créant un nouveau quartier appelé « La mairie », désormais pleinement intégré au tissu villageois.

Situation géographique et attraits naturels

Perché à 850 mètres d’altitude, Tassaft domine la vallée, entouré d’Ath-Menguellet à l’est, d’Ath-Ouacif à l’ouest, d’Iboudrarène au sud et des Ath-Yenni au nord. Son emplacement sur la RN 30 reliant Tizi-Ouzou à Bouira via Tikjda a favorisé son extension et son dynamisme économique.

De Tassaft-Ouguémoun, plusieurs sites remarquables sont accessibles :

  • La station touristique de Tikjda, nichée au cœur du Djurdjura.

  • Le lac Agoulmime, aux reflets changeants.

  • Le gouffre d’Assouel, cavité spectaculaire.

  • La mystérieuse grotte du Macabée.

Pour séjourner dans la région, le visiteur dispose de plusieurs possibilités :

  • Hôtel Bracelet d’Argent à Ath-Yenni.

  • Auberge de jeunesse Djurdjura à Aïn El-Hammam.

  • Station de montagne de Tikjda.

Les enfants valeureux du village

Tassaft-Ouguémoun a marqué l’histoire nationale par les sacrifices de ses enfants, tombés pour la liberté ou victimes des soubresauts de l’histoire :

  • XIXᵉ siècle : Aït-Hamouda Kaci et Ould-Hamouda Saïd Oulhadj, martyrs en 1857 à Tamazirt et Icheridhen.

  • Seconde Guerre mondiale : Aït-Hamouda Mohand, instituteur, tombe en Alsace en 1945.

  • Mouvement nationaliste : Ould-Hamouda Amar, militant du PPA, assassiné en 1956.

  • Guerre de libération : le colonel Amirouche (Aït-Hamouda Amirouche) et de nombreux villageois tombent au champ d’honneur.

  • Crise berbère (1963–1964) : Messaoudi Hamid, Messaoudi Idir et Aït-Hamouda Larbi rejoignent les martyrs de la rébellion.

  • OAS (1962) : Aït-Hamouda Ahcène et Ould-Hamouda Belkacem assassinés à Alger.

  • Conflit israélo-arabe (1973) : Ouahioune Yahia et Aït-Hamouda Salem meurent au combat.

  • Décennie noire (1990s) : Ouahioune Djaffer, Aït-Hamouda Kamel, Aït-Hamouda Amer, Ouahioune Amrane et Aït-Hamouda Arezki tombent sous les balles du terrorisme.

  • Printemps noir (2001–2003) : Yousfi Azzedine est assassiné en 2003.

Personnalités et engagement

Le village a aussi donné naissance à des figures engagées :

  • Ouahioune Chabane, écrivain reconnu.

  • Mustapha Bacha, militant du « Printemps berbère », syndicaliste et cofondateur du RCD.

  • Aït-Hamouda Nordine, député de Tizi-Ouzou (1997, 2007, 2017), fondateur de la Fondation du colonel Amirouche.

Le mouvement associatif

Après l’ouverture démocratique, la jeunesse de Tassaft s’organisa en 1989 autour de l’Association culturelle Amar Aït-Hamouda (Tidukla Tadelsant Amar Ath-Hamuda). Nommée en hommage à Ould-Hamouda Amar, pionnier du berbérisme, elle anima la vie culturelle du village pendant près d’une décennie.

À travers des commémorations, expositions, conférences, pièces de théâtre (notamment celles de Mohia), chants traditionnels et galas, l’association fit rayonner la culture kabyle. Des artistes de renom tels que Cherif Hamani, Debza, Ideflawen, Zedak Mouloud, ou encore Matoub Lounès s’y produisirent. Deux chanteurs originaires du village, Hocine Ouahioune et Arab Ben Amer, ont également marqué cette période.

Sous la houlette de militants issus du MCB, tels que Moumouh Aït-Mouloud (Amghid), Hmimiche Aït-Mouloud, Karim Aït-Ouahioune, Ahcène Ammour, Kaci Ouahioune et Yahia Aït-Hamouda, l’association connut un véritable âge d’or. Aujourd’hui disparue, elle a laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective.

Mémoire et continuité

Tassaft-Ouguémoun n’est pas seulement un village ; c’est un lieu de mémoire vivante. De son chêne disparu à son marché animé, de ses martyrs à ses écrivains, de ses sanctuaires aux chants kabyles qui ont fait vibrer ses nuits, il incarne l’histoire mouvementée de la Kabylie, entre douleur, résistance et fierté.

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