Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/10/2017

Mon enfance et ma scolarité au village.

youcef.jpgEn 1953, accompagné de mon grand père, je rentrais à l’école du village.

Cette première année scolaire ne commença pas bien pour moi. Au bout d’une semaine, je tombais gravement malade. J’avais la tête couverte de petits boutons purulents, conséquence de la fameuse "thajvirth elmalaïk " sûrement. Le directeur expliqua à mon grand père qu’il lui était impossible de me garder dans cet état à l’école. Très vite informé, mon père se déplaça sans tarder de Mendès. Deux jours après, au grand dam de ma mère très inquiète, il décida de m’emmener avec lui pour me faire soigner. C’était la première fois que je quittais mon village et le giron de ma mère. Je ne me rappelle que vaguement de ce voyage qui a été long et pénible.

Mendès est un joli et riche village colonial où mon père s’installa en 1938, d’abord comme commis chez Aomer Ath dermeche puis comme tailleur traditionnel et enfin en association, qui ne dura pas longtemps, avec Salah Ath lamine, il monta une épicerie/tissus bien achalandée. Les affaires marchaient bien pour mon père, malgré les quelques soucis que lui occasionnait son neveu Achour. A Tassaft, nous comptions  parmi les gens qui mangeaient tous les jours à leur faim.

Durant mon séjour à Mendès, j’étais surpris par les gens qui venaient à la boutique pour faire leurs achats. Ils parlaient dans une langue que je ne comprenais pas. J’ai su après que c’était de l’arabe. Il faut dire qu’à cette époque, les petits kabyles comme moi apprenaient le français avant l’arabe. 


Boudjemaa el ankis chante en kabyle(tamziw)

Pour me soigner, mon père délaissa toutes ses affaires. Il m’emmena chez un médecin à Relizane qui me donna un tas de médicaments. Je restais avec mon père jusqu’à ma guérison complète. Une fois rétabli, mon cousin Achour se chargea de me ramener au village où je retrouvais ma mère et mes petites habitudes. Je repris aussi le chemin de l’école à l’instar de tous mes camarades qui étaient contents de me revoir.

J’avais comme maître Monsieur Loubet, un français qui quitta le village juste au début de la guerre. Le directeur de l’école était Monsieur Ouahioune Amer dont le père, Dda Bezzi, était, déjà en 1953, retraité de l’instruction publique. Son frère cadet Dda Chavane, qui a été dans les années quarante avocat dans le cabinet de son oncle Arab, vit actuellement au village où il s’adonne avec bonheur à l’écriture.

Dda Boussad Ouahioune, le président du centre municipal, était un ancien émigré. De France, il revint avec son épouse Alice, que les gens du village finirent par adopter et appeler affectueusement "Lilice". Vers les années 1946-47, cette brave femme, encouragée par son époux, transforma une partie de sa maison en salle de classe où elle donnait gracieusement des cours de français, de cuisine et de couture aux fillettes  du village. Ma sœur ainée, Aziza, qui en fît partie, garde jusqu’à présent un souvenir joyeux de "Madame Lilice". 

Il faut dire qu’une frange de la famille Ouahioune avait compris très tôt et bien avant les autres, que l’instruction était le seul bien vraiment durable et inaliénable. Pendant que la plupart des villageois illettrés faisaient de leurs enfants des bergers potentiels, eux bien avisés, guidaient leurs progénitures vers les chemins escarpés de la connaissance.

Au déclenchement de la guerre en 1954, j’avais sept ans. Les gosses du village comme moi, dans notre insouciance, ne pouvions pas nous rendre compte de la gravité de la situation. Un grand drame se préparait à notre insu.

Après les attentats déclenchant du 1er Novembre dont je ne me souviens que vaguement, rien ne prédisait de la suite tragique des évènements qui allaient, sept ans et demi durant, marquer d’une manière indélébile notre vie et celle de notre pays.  

L’opération "Jumelles", déclenchée par l’armée française pour "nettoyer la Kabylie comme ils le disaient", nous causa un grand traumatisme. La brutalité des opérations et des exactions commises par les bérets rouges du 3ème RPC de Bigeard sont à jamais inscrites dans l’histoire de notre village. Le crépitement des balles, qui ont tué Da Bélaïd un beau matin de juillet 1959, résonnent encore dans mes oreilles cinquante ans plus tard.

En 1955, avec l’intensification des opérations de guerre, l’armée française décida de réquisitionner notre vieille école pour installer un campement qui deviendra par la suite une grande caserne et un centre de tortures. La guerre d’Algérie prenait chaque jour un peu plus d’ampleur. Deux villages étaient privés d’école par l’effet du prince et une cinquantaine d’élèves étaient jetés dans la rue. Ces "vacances" forcées dureront plus de deux ans.

Je passais mon temps à jouer ou à accompagner ma mère au champ. A chaque saison, sa cueillette. Celle des olives était particulièrement joyeuse. Chaque jour était une fête. L’entraide  (thiwizi) s’organisait. Les hommes et les femmes valides du village se devaient de participer à ce volontariat et à tour de rôle, la cueillette se faisait dans la joie et la bonne humeur chez tous les propriétaires des oliveraies. Mon père, en plus d’être épicier et tailleur, était aussi un agriculteur émérite. Le greffage, la taille des arbres n’avaient pas de secrets pour lui. Il était réputé pour ses coups de sécateur. En un rien de temps, d’un tronc touffu et rabougri, il vous en faisait sortir un arbre tout rajeuni. Les gens du village se disputaient ses services qui étaient bien entendu gratuits. A la fin de la journée, malgré la fatigue, il n’omettait pas d’aller visiter tous les pièges qu’il avait posés. Il rentrait à la maison le capuchon de son burnous plein de grives et d’étourneaux bien gras que ma mère, après les avoir plumés, faisait griller sans les vider sur les braises du kanoun. C’était le temps béni d’une enfance aux plaisirs simples et pleine d’insouciance.

En 1957 pour parer au manque d’école dans le village, l’armée française jeta son dévolu sur une aire à battre située à proximité de son casernement et y dressa une grande tente en guise de classe unique. Elle nous affecta comme instituteur monsieur Ruppert, un chasseur alpin d’une vingtaine d’années à peine. La première leçon qu’il nous fît et dont je me souviens, était le pluriel des mots.

C’était durant cette année aussi que mon père quitta malgré lui Mendès, expulsé par les soldats français. Il abandonna tout ce qu’il possédait. Un magasin plein de marchandises, des machines à coudre, une bonne et fidèle clientèle et des amis. Le fruit de plusieurs années de labeur et de privations partait en fumée. Il rentra au village vieilli et ruiné, avec une valise presque vide et une canne.

Il resta quelques jours parmi nous et le peu d’argent qu’il avait économisé fondît comme neige au soleil. Il lui fallait trouver une solution pour faire face à toutes les obligations familiales et décida de se rendre à Alger pour chercher du travail. Il en trouva un comme vendeur-placier chez un fabricant de chaussures juif. Mon père, qui était commerçant libre, devenait salarié, soumis à des horaires et à un patron, ce qu’il détestait le plus. Mais il lui fallait gagner sa vie et subvenir aux nombreux besoins de sa famille. Pour elle, il acceptait tous les sacrifices. Et puis les coups du sort, ce n’était pas la première fois qu’il en recevait. Il en avait l’habitude. Après avoir changé maintes fois de travail et de patron, il finit par se remettre à son compte. Il acheta avec ses économies une machine à coudre de grande marque, loua une chambrée dans la basse casbah (rue du lézard) et se remit à pratiquer le métier qu’il savait le mieux faire: celui de tailleur. Il gagna un peu mieux sa vie et pouvait surtout gérer son temps comme il le désirait et sans contraintes. 

Depuis 1957, nous changeâmes trois fois de locaux. J’avais comme maîtresse et directrice Madame Weiss, l’épouse du brigadier de gendarmerie. Parmi ses élèves, j’étais un de ses préférés. Mais cela ne l’empêcha pas un jour de me punir pour ne pas avoir appris correctement ma leçon de géographie en me faisant balayer toute la cour de la maison de ma tante Tassadite qui nous servait, en ce temps là, d’école. Il y avait aussi monsieur Shneider, un soldat qui mesurait plus de deux mètres et qui, avant de faire la classe, accrochait en toute confiance son arme de guerre à un clou qu’il avait lui-même planté dans le mur.

Finalement l’administration réquisitionna quelques terrains à proximité du village pour y monter des classes en  tôle spécialement aménagées. C’était dans ces nouveaux locaux tout neufs que Madame Weiss avait pris en charge Ramdane Ath L'hadj et Abdellah Ath Vacha. Puisqu’ils étaient les plus âgés, elle leur donna des cours intensifs, les soirs après la classe, les samedis et dimanches. Elle ne s’accorda aucun instant de répit jusqu’au mois de juin où elle les présenta à l’examen du certificat d’études qu’ils eurent avec brio. Mme Weiss était une institutrice d’exception. Elle a laissé en chacun de nous, un souvenir indélébile.

En 1960, Madame Weiss quitta Tassaft pour suivre son mari affecté ailleurs. Il y avait aussi Mesdemoiselles Pinny, Fleys et Ferrand la petite handicapée, (elle était légèrement bossue). Mme Weiss fut remplacée par Mme Jacquet épouse d’un capitaine de chasseurs alpins.

Avec le départ de Mme Weiss, l’école changea complètement. C’était une autre ambiance. Nous eûmes comme nouvelle maîtresse Mademoiselle Privat, une toute petite femme bien dynamique et très compétente.   

------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Source: " Ma vie ou mes souvenirs". Recueil de Youcef AIT-MOHAND,

Béjaia, Octobre 2011.