07/01/2024
La fête de Yennayer: pratiques et présages.
"Ad ffɣen iberkanen, ad kecmen imellalen".
Par cet adage est annoncé le premier jour de l’an "ixef-useggwas" ou Yennayer dans certains villages de Kabylie. Ce moment marque la séparation entre deux cycles solaires, passage des journées courtes, "noires" aux journées longues, "blanches" est fêté dans la quasi totalité des régions du Nord de l’Afrique. Dans son livre (1929), "La femme Chaouia de l’Aurès", Mathéa GAUDRY, citant E. MASQUERAY, rappelle que Yennayer est appelé "Ass n Ferɛun", (le jour du Pharaon).
Selon la légende, "les Chaouis fêtaient ce jour-là la mort du Pharaon tombé dans la mer". Cette évocation populaire qui se nourrirait de la victoire des Libyens sur l’Egypte et de l’installation du Roi Chechaq 1er au sommet de la 22e dynastie pharaonique en 950 av. JC. D’ailleurs, en 1968, l’Académie Berbère, l’association berbériste, fondée en 1966 par Mohand-Arab BESSAOUD à Paris, porta son choix sur cette date qui devint le point de départ de l’actuel calendrier berbère. Inscrit dans le mouvement de la revendication identitaire berbère du XXe siècle, l’usage de ce calendrier reste emprunt d’une valeur fortement symbolique et permet aux Imazighens de passer du temps cyclique de la tradition et du vécu à un temps linéaire, historique.
Ce bref rappel nous permet de noter que, désormais, le calendrier berbère relève de deux temps, le temps historique, objet d’une connaissance événementielle et le temps sacré qui repose sur la réactualisation des mythes qui contribuent à la structure de la société.
Décrire les pratiques liées à Yennayer et les représentations sociales de cette période de l’année, nous permettra d’oublier un moment la dimension événementielle pour nous intéresser au vécu et à la quotidienneté nord-africaine.
La lumière et l'abondance
La veille de Yennayer, les femmes se chargent de recouvrir les murs à la chaux "Aruccu s tumlilt" et changent le trépied du feu (Lkanun). Dans l’Aurès, ce rituel se fait deux ou trois jours avant Yennayer et porte le nom de "bu ini" (jour du trépied). Le nettoyage intensif se termine par un grand coup "d’Oumezzir" (balai de bruyère). Afin d’assurer l’abondance de la nouvelle année, on verse des céréales entre les jarres en terre (Ikufan). Cette notion d’abondance souhaitée et préparée pour conjurer le sort se retrouve dans le repas de Yennayer dont le mets principal reste le couscous de blé. Le recours à la semoule d’orge est, ce jour-là, banni n’est-elle pas noire et ne constitue-t-elle pas en temps ordinaire le repas du pauvre ?
Le couscous est préparé avec une sauce à base de légumes secs, selon les régions, on mélange deux à sept légumes (pois cassés, lentilles, fèves concassées "Abiṣar", haricots blancs, cornilles ou doliques à œil noir, pois chiches...) et l’incontournable volaille. D’une contrée à une autre on propose des explications différentes au choix de la volaille. Certains diront, par son chant matinal, le coq annonce la naissance de la lumière (le lever du jour), d’autres expliqueront, par ses œufs, la poule incarne la fécondité donc l’abondance. Les croyances populaires méditerranéennes nous apportent d’autres éclaircissements sur cette préférence vouée à la volaille. Par exemple les Grecs et les Romains auraient adopté le coq comme oiseau protecteur ce qui s’apparenterait à l’usage d’"Asfel" (offrande) dans l’ensemble de l’Afrique du Nord.
Dans la préparation des autres mets qui accompagnent le couscous, les femmes en appellent toujours à la prospérité et à la profusion, aussi composent-elles "Uftiyen" ou "Iɛrecmen", un mélange de céréales entières, passées à la vapeur ou grillées huilées, servies aux enfants le matin du 12 janvier (Tasebhit n' Yennayer) ou simplement jetées sur les arbres des jardins dans l’attente d’une bonne récolte. Selon les moyens dont disposent les familles, "Uftiyen" sont complétés par un mélange de fruits secs disposés généreusement dans un plat en bois ou en terre mis sans restriction à la disposition des enfants. Dans la même journée de "Amenzu n' Yennayer" (le premier jour de l’an), sont proposées plusieurs denrées à base de pâte qui lève ou qui s’étale, "Lesfenǧ" ou "Lemsmmen". Une pâte qui gonfle ou qui s’étend facilement annonce forcément une année riche et généreuse.
Les présages
Le repas "Imensi n' Yennayer" est servi dans le respect du nombre des membres de la famille élargie, on rajoute le couvert de l’absent, éventuellement "Iminig" (le voyageur), la fille mariée et surtout du gardien de la demeure "Aɛssas-buxxam". La tradition exige que l’on ne vide pas les plats ce qui signifie que l’on ne doit pas avoir faim.
Dans la soirée, la maîtresse de maison dépose sur le toit quatre coupelles en terre remplies de sel représentant chacune les mois de Yennayer, Furar, Meɣres et Yebrir (janvier, février, mars, avril). Au matin de la journée de yennayer, le niveau d’humidité du sel annonce un mois arrosé ou non. En ce jour de yennayer, la nature est fortement mise à contribution, elle est observée et écoutée, aucun geste ne doit la contrarier car elle est porteuse de "lfal" (le présage). Ainsi la femme kabyle ou tachaouit vérifie scrupuleusement ce qui se trouve sous les pierres qu’elle ramasse pour renouveler le trépied de son "Kanun", la présence d’un ver blanc laisse entrevoir la naissance d’un garçon, une herbe verte signifie une moisson abondante, les fourmis symbolisent l’augmentation du bétail...
L’ensemble de ces éléments, plus ou moins perpétués ou simplement conservés dans les récits, témoigne du caractère agraire du calendrier berbère.
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Malha BENBRAHIM, Historienne spécialiste de l’oralité.
Bibliographie :
- Gaudry M : La femme chaouia de l’Aurès ; LOPG, Paris, 1929
- Mercier G. : Le chaouia de l’Aurès : Mœurs et traditions de l’Aurès, Paris, 1896.
- Servier J. : Tradition et civilisation berbères, les portes de l’année ; Ed. du Rocher, Paris, 1985.
Source : http://www.tamazgha.fr/article.php3?id_article=1841
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Voir aussi:
- http://www.yennayer.fr/spip.php?article869
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