25/09/2025
La fille kabyle : naissance, éducation et mariage
Dans l’imaginaire traditionnel kabyle, la naissance d’une fille n’a pas toujours été accueillie avec la même ferveur que celle d’un garçon. Là où l’arrivée d’un fils était célébrée comme un grand évènement, celle d’une fille passait souvent sous silence, parfois même perçue comme une épreuve envoyée par le destin. La fille était présumée source de soucis futurs : elle ne porterait jamais le burnous, ne soulèverait pas le fusil, ne prendrait pas place à la djemâa, ne participerait pas aux travaux collectifs, ne fréquenterait pas le marché, et surtout, un jour, elle partirait « remplir la maison d’autrui » (Atrouh atâamer akham meddene).
Ainsi, beaucoup voyaient dans la naissance de filles une "punition des saints", qu’il convenait d’apaiser par une ziara ou par un sacrifice.
L’apprentissage de la vie domestique
Dès l’âge de six ou sept ans, la petite fille kabyle entrait dans la vie active. Elle apprenait à soulever la cruche, ramasser des brindilles pour en faire des fagots, pétrir la pâte, rouler le couscous, balayer la cour, laver la vaisselle, ou encore s’occuper des bêtes à l’écurie. Rapidement, elle s’initiait également au tissage sous l’œil attentif de sa mère. Derrière le métier à tisser, elle découvrait l’art de confectionner couvertures (Alawene, adhilene) et burnous (Ivernyass), savoir-faire qui constituait un pilier de son éducation.
À l’adolescence, vers quatorze ou quinze ans, la jeune fille était considérée comme une future maîtresse de maison accomplie (Atqavel akhamis). La réputation de sa famille aidant, les femmes du village (Thinakhdhavine) venaient la demander en mariage. Après enquête, les parents retenaient l’offre jugée la plus convenable. Comme pour le garçon, les pères des deux familles fixaient les modalités de l’union et la date de la cérémonie.
Le mariage et ses rituels
Une semaine avant les noces, la mère de la mariée, assistée de ses brus, de ses filles et de ses voisines, préparait l’Aâdha : gâteaux, beignets, sucreries, fruits secs, soigneusement rangés dans des paniers en tiges d’oléastre (Iqachwalène).
Le jour venu, la famille du fiancé apportait les offrandes convenues : un mouton, de la semoule, les ingrédients du dîner du henné et du repas du cortège (Lfathour iqafafene). Les hommes et les femmes du Adhroum étaient invités à partager le festin et à assister à la cérémonie du henné. Comme pour le garçon, chacun offrait discrètement un billet de banque à la mariée.
Le lendemain, après la Fatiha, la jeune épouse rejoignait sa nouvelle famille au milieu des youyous, tandis que sa mère lui adressait sa prière :
- Rouh a yelli, akmihenni Rebbi. Adh’yâamar Rebbi amourime (Va ma fille, que Dieu veille sur ton bonheur. Que Dieu remplisse ta part).
Un proverbe kabyle souligne cependant que ce passage devait se faire sans faste excessif :
- Yefka yellis, yerna thamaghra dh’goukhamis — « Il a donné sa fille et a fait la fête chez lui ».
1. L’exemplarité de la femme kabyle
Dans la société traditionnelle, la femme kabyle a toujours été investie d’une mission essentielle : celle de porter et de préserver le foyer. Si, malgré tous les remèdes et sacrifices, une épouse n’avait pas d’enfant, elle pouvait aller jusqu’à proposer à son mari d’épouser une seconde femme plus féconde. Ce sacrifice, unique en son genre, n’entamait pas son autorité domestique : la nouvelle venue n’était acceptée qu’à la condition de se soumettre à la première épouse, qui restait la maîtresse du foyer.
Avec le temps, la femme kabyle acquérait un prestige incontestable. Son intercession était sacrée : il suffisait qu’elle jette son foulard entre deux hommes en conflit pour que la querelle cesse aussitôt. Elle était considérée comme la " poutre maîtresse" de la maison (Tagoujdhith talemmasth), celle qui filait et tissait, qui nourrissait la famille, qui élevait les enfants et qui préparait les trousseaux de ses filles.
2. Le congé de la femme kabyle (Thirdzaff)
La tradition reconnaissait à la femme mariée un droit singulier : celui de passer chaque année un mois chez ses parents. Ce « congé » n’était pas accordé par son mari mais sollicité par son père ou son frère auprès du beau-père (Amghar).
À la veille du départ, la belle-mère remettait à la bru un viatique de semoule, d’œufs et de denrées. La femme faisait le voyage à pied, accompagnée de ses enfants et de ses proches. Accueillie comme une reine dans la maison paternelle, elle goûtait quelques semaines de repos, choyée par les siens, avant de reprendre le chemin de son foyer, rapportant avec elle cadeaux et victuailles (Tharzefth).
3. La répudiation
La répudiation, assimilée à une sorte de « licenciement », survenait principalement en cas de conflit entre la belle-mère et la bru. La stérilité, la mauvaise tenue de la maison ou l’incompatibilité de caractère pouvaient également en être les causes.
Souvent, après des tentatives de réconciliation, le mari prononçait la formule irrévocable :
-"Vrigham thlatha fi thlatha" ("Je te répudie trois fois").
La femme repartait alors, voilée et en pleurs, vers la maison de ses parents.
La coutume voulait qu’une femme répudiée, mais dont la formule n’avait pas été prononcée, reste liée à son ancien époux, empêchée de se remarier sans son consentement. De là vient l’expression proverbiale :
- "Wiss yennane thevra, yaghits ! " ("Qui ose dire qu’elle est répudiée, qu’il l’épouse !).
Conclusion
Dans la société kabyle ancienne, la condition féminine était faite de contraintes et de sacrifices, mais aussi de respect et de pouvoirs implicites. La femme y était à la fois pilier domestique, gardienne de l’honneur familial et garante de la paix sociale. Si les usages pouvaient parfois la réduire à une position subalterne, elle demeurait pourtant la véritable force silencieuse du foyer et du village.
Source : Quelques Us et Coutumes de Kabylie. Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia, octobre 2011.
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