L’histoire du hérisson et du chacal

Dans les contes kabyles, la rivalité entre le chacal et le hérisson est de toutes les époques. Malicieux, rusés, chacun cherche à piéger l’autre. Mais à la fin, c’est toujours le hérisson qui l’emporte. Voici l’une de ces histoires.

Un jour, Sa Majesté le Lion, roi incontesté et incontestable de la forêt, tomba gravement malade. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, bouleversant tout le royaume animal. Les bêtes accoururent à son chevet, chacune apportant son conseil : décoctions, plantes, infusions, potions… Mais rien n’y fit. L’état du roi empirait de jour en jour.

C’est alors que M’ḥamed, le chacal, se présenta discrètement auprès du Lion. Courbé, la voix doucereuse, il murmura :

- Sire ! Si Votre Majesté me le permet, je connais un remède… sûr et efficace.

- Parle, M’ḥamed ! Mais gare à toi si ce n’est encore l’un de tes tours !

- Point du tout, Majesté. Ce traitement est infaillible : il vous faut du sang… du sang de hérisson !

Le Lion, exaspéré par la douleur, rugit :

- Qu’on m’amène le hérisson immédiatement !

Aussitôt, un escadron de guépards, l’élite de la garde royale, fut envoyé. Ils trouvèrent Maître Hérisson chez lui, en train de réparer son logis. On lui expliqua la mission. Sans protester, le petit animal enfila son manteau d’épines, ferma sa porte et suivit dignement les soldats.

En entrant dans la salle du trône, il aperçut M’ḥamed, son vieil ennemi. Tout devint clair pour lui. Dans son cœur, il pensa : « Misérable chacal ! Tu crois m’avoir, mais rira bien qui rira le dernier… »

- Te voilà enfin, Hérisson ! dit le Lion.

- Me voici, Sire, répondit-il humblement. Que puis-je faire pour vous ?

- On m’a dit que ton sang pouvait me guérir. Donne-le-moi sans tarder !

- Oh oui, Sire, mon sang est un remède puissant. Mais… il ne guérit qu’à une condition.

- Quelle condition ?! s’emporta le Lion. Comment oses-tu poser des conditions à ton roi ?

- C’est pour Votre Majesté que je le fais, reprit calmement le hérisson. Mon sang n’agit qu’à condition d’être mêlé à de la cervelle.

- De la cervelle ? Quelle cervelle ? demanda le Lion, de plus en plus irrité.

- Celle du chacal, Sire ! La cervelle de M’ḥamed, et nul autre.

Le roi, malade, fiévreux et en colère, se tourna vers le chacal. Avant même que celui-ci n’ouvre la bouche, le Lion abattit sur lui sa lourde patte, griffes dehors. Le crâne vola en éclats. La cervelle fut ramassée à la petite cuillère.

- Bien, dit le Lion, donne-moi ton sang maintenant !

Le hérisson, tremblotant mais soulagé, tendit son oreille pointue. On en recueillit quelques gouttes. Puis, s’inclinant, il prit congé du roi et retourna chez lui, tout heureux d’avoir sauvé sa vie et d’être enfin débarrassé de son pire ennemi.

Depuis ce jour, on dit en Kabylie : « - Dwa d-akhel l’mukh buccen » - Le remède est dans la cervelle du chacal.

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Sources : "Contes de mon village". Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia, Janvier 2011.