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25/09/2025

L’organisation sociale en Kabylie : hiérarchie, mariages et héritages symboliques

La société kabyle traditionnelle reposait sur une organisation sociale hiérarchisée, structurée en trois grandes catégories :

  • Les Imravddhène (marabouts), considérés comme descendants du Prophète ou érudits religieux ;

  • Les Ihariyene (hommes libres), représentant la noblesse villageoise ;

  • Les Aklane (esclaves ou descendants d’esclaves).

Cette stratification a marqué durablement la vie des villages et les rapports sociaux.

Les règles du mariage

Le mariage obéissait à des règles strictes qui renforçaient la séparation entre catégories :

  • Un homme « Aherri » (libre) ne pouvait épouser une « Taklith » (femme esclave).

  • Un « Akli » ne pouvait s’unir à une « Thaharrith » (femme libre).

Les marabouts, eux, contractaient mariage uniquement entre eux, préservant ainsi leur statut sacré.
En dehors de cette interdiction matrimoniale, hommes libres et esclaves participaient de la même manière aux activités de la vie villageoise.

Le rôle des marabouts

Les marabouts occupaient une place à part. Leur fonction était essentiellement spirituelle :

  • Ils ne prenaient pas part aux travaux communautaires tels que la thachemlith (corvées) ou la thiwizi (entraide agricole).

  • Leur présence aux événements sociaux (mariages, décès, zerdas) était surtout symbolique. Ils y récitaient des versets coraniques et recevaient en contrepartie une ziara, offrande considérée comme une protection contre la malédiction attribuée à leur ancêtre.

Les métiers et les interdits

Dans l’orthodoxie kabyle, certaines professions étaient jugées dégradantes pour un homme libre. Ainsi, le métier de boucher était réservé aux « Aklane ». Cet usage s’est transmis jusqu’à nos jours en Haute-Kabylie.

Le terme « Akli », dont le sens premier désigne un homme de peine sans rétribution, a longtemps été associé à la couleur noire en raison de l’esclavage. Avec le temps, il a pris une connotation péjorative, héritée de génération en génération.

Les origines des « Aklane »

Deux principales origines expliquent la présence des « Aklane » en Kabylie :

1. Héritage de l’esclavage

Durant la traite négrière, certaines familles kabyles acquéraient des esclaves, souvent noirs, pour les employer comme domestiques ou travailleurs agricoles.
À l’abolition de l’esclavage, lors de l’instauration de l’état civil à la fin du XIXᵉ siècle, les anciens esclaves furent enregistrés sous le nom de leurs maîtres ou adoptèrent de nouveaux patronymes.

Bien que devenus citoyens à part entière, eux et leurs descendants conservèrent le qualificatif d’« Akli », transmis sans effacement possible.

2. L’auto-avilissement pour échapper à la vengeance

La société kabyle appliquait rigoureusement la loi du talion : tout crime de sang appelait vengeance, sans limite de temps. Toutefois, l’auteur d’un meurtre pouvait sauver sa vie par un rituel d’auto-avilissement.

En public, sur la place du marché, il devait :

  • Poser une panse de bœuf encore sanglante sur sa tête,

  • S’entourer le cou d’intestins et d’une corde (thamrarth),

  • Prendre un couteau de boucher et proclamer son avilissement et celui de sa descendance.

Dès lors, il devenait « Akli » et boucher par statut. Sa dette de sang s’éteignait, mais ses filles mariées dans le village étaient aussitôt répudiées. Souvent, il quittait son village, vendait ses biens et reprenait une vie ailleurs sous un nouveau nom.

Héritage social et mémoire collective

Ainsi, la catégorie des « Aklane » en Kabylie trouve son origine dans l’histoire de l’esclavage et dans les pratiques sociales liées au code d’honneur. Bien que l’esclavage ait disparu, le stigmate social est resté attaché aux familles concernées, transmis comme un héritage symbolique et parfois vécu comme une lourde mémoire collective.


Source : Youcef Aït-Mohand, "Quelques Us et Coutumes de Kabylie". Recueil non publié, Béjaïa, octobre 2011.

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