26/09/2025
"Thiwizi", l’entraide kabyle
Dans la société kabyle, la réussite des grands travaux agricoles, tels que les moissons ou la cueillette des olives, a toujours reposé sur un principe d’entraide profondément ancré dans les mœurs : "Thiwizi". Il s’agit d’un élan collectif, bénévole et sans contrepartie, où chacun met son énergie et son savoir-faire au service d’un membre de la communauté.
L’annonce et la préparation
Lors de la saison des olives, le propriétaire d’une oliveraie commence par récolter, avec sa famille, les fruits des petits arbres faciles à grimper. Mais pour les oliviers majestueux, parfois centenaires, il fait appel à la solidarité du village.
Deux ou trois jours avant, il annonce à la djemâa son intention d’organiser une "Thiwizi" et fixe une date. Les hommes qui ne pourront pas être présents s’excusent, promettant de venir l’aider un autre jour. La veille, le propriétaire va lui-même de maison en maison pour rappeler l’événement. Les invitations se font souvent sur un ton simple et fraternel :
- Wa Youcef ! akene anahdher dhi thjmayth, azekka tiwizi ghouri…
- Youcef, comme convenu à la djemâa, demain c’est Thiwizi chez moi…
La réponse est presque toujours enthousiaste :
- Ihi ar’zekka InchaAllah ! ansaqddha thiqouvach.
- Alors à demain, je vais aiguiser les haches !
Le jour de la Thiwizi
Dès l’aube, hommes, femmes, enfants et même les animaux de bât se mettent en marche dans une ambiance joyeuse. Arrivés à l’oliveraie, on allume un grand feu pour se réchauffer et garder le café au chaud.
En Kabylie, la saison des olives est une période unique : les collines se couvrent de fumées s’élevant des foyers des différents groupes de Iwiziwene (les volontaires). Les oliveraies deviennent des lieux de vie, de partage et d’effort collectif. Pour encourager les travailleurs, on entend parfois résonner :
- Ayiwiziwene, khedhmeth Rebbi akniîwene !
- Ô volontaires, travaillez avec l’aide de Dieu !)
Mais cette saison est aussi celle des oiseaux migrateurs, étourneaux et grives, qui raffolent des olives mûres. Les paysans, impuissants à les chasser, agitent des drapeaux et crient « Ahaï ! ahaï ! », tandis que les enfants tendent des pièges pour attraper quelques grives qu’ils feront griller le soir au kanoun.
La répartition des tâches
Le propriétaire attribue les arbres aux participants en tenant compte de leurs compétences. Certains sont réputés pour manier le sécateur, d’autres pour gauler les hautes branches. Soucieux de l’honneur de chacun, il veille à ne froisser personne.
Le travail commence alors : perchés à plus de cinq mètres, les hommes gaulent les branches, élaguent les rameaux secs, et traquent la moindre olive. Parfois, pour rythmer l’effort, ils entonnent des chants religieux (dikr). Dans certains villages, des voix puissantes, comme celles de Da Rabah M’barek et Da Mohand Ouamer El Mouloud, résonnaient au loin, emplissant l’air d’une ferveur inoubliable.
Le repas, moment de communion
Vers midi, la femme du propriétaire et une de ses brus arrivent, les bras chargés : couscous aux pois chiches, beignets, et café fumant. On forme un cercle autour du grand plat, et le maître de maison invite chacun à partager :
- Hayya, Bismi Allah !
- Hayya, au nom de Dieu!
Les conversations s’animent : on compare la qualité des olives, on parle du climat, de la récolte à venir. Puis, rassasiés, les hommes reprennent le travail, une volumineuse chique calée dans la bouche, escaladant à nouveau les oliviers avec une fierté intacte.
La fin de la journée
À la tombée du jour, les oliviers allégés et élagués semblent rajeunis. Le sol, couvert d’olives noires et luisantes, réjouit le propriétaire, qui s’exclame :
- Attention où vous mettez les pieds ! N’écrasez pas le bien de Dieu !
Fatigué mais heureux, il remercie chaleureusement chaque participant et les invite à un dîner copieux préparé pour l’occasion.
La Thiwizi féminine
Le lendemain, ce sont les femmes qui prennent le relais. Elles ramassent les olives déjà tombées, formant de grands tas qui s’accumulent dans l’oliveraie. Elles aussi perpétuent l’esprit d’entraide, mêlant travail, chants et convivialité.
De l’olivier à l’huile
Enfin, les ânes du village sont réquisitionnés pour transporter la récolte à l’huilerie. Quelques jours plus tard, le propriétaire goûte avec émotion à la première huile de la saison, fruit d’un labeur partagé et d’une solidarité intacte. Pour lui, la qualité exceptionnelle de ce précieux nectar demeure la plus belle des récompenses.
Conclusion
La Thiwizi est bien plus qu’un simple coup de main : c’est une véritable institution sociale. Elle perpétue les valeurs de solidarité, d’amitié et de respect mutuel qui ont toujours soudé les communautés kabyles. Contrairement à la Thachemlith, obligatoire, la Thiwizi est volontaire. Mais rares sont ceux qui s’y dérobent, car y participer, c’est appartenir pleinement à la vie du village.
Source : Quelques Us et Coutumes de Kabylie, Recueil de Youcef AIT-MOHAND, Béjaïa, octobre 2011.
17:21 Publié dans Us et coutumes de kabylie | Lien permanent | Commentaires (0)
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