17/09/2025
Organisation traditionnelle de la famille kabyle
La famille kabyle constitue depuis des siècles la cellule fondamentale de l’organisation sociale en Kabylie. Elle ne se limite pas au noyau conjugal père-mère-enfants, mais se déploie généralement sous la forme d’une famille élargie, regroupant plusieurs générations sous le même toit : le père, la mère, les fils mariés avec leurs épouses (les brus), les filles célibataires et les petits-enfants. Cette structure patriarcale et collective remplit à la fois des fonctions économiques, sociales et culturelles, et repose sur une répartition stricte des rôles, qui assure la cohésion et la continuité du groupe.
1. Répartition des tâches et responsabilités
La division du travail au sein de la famille kabyle reflète une organisation hiérarchique et genrée.
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Affaires extérieures : sous l’autorité du père, responsable des relations avec le village et la djemâa.
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Affaires domestiques : gérées par la mère, garante de l’ordre interne et de l’équilibre entre ses brus.
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Travail rémunérateur et subsistance : assumé par les fils, souvent à travers l’émigration.
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Travaux agricoles : partagés entre fils et brus.
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Travaux ménagers : confiés principalement aux brus.
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Formation des filles : les jeunes filles célibataires demeurent en apprentissage domestique jusqu’au mariage.
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Gardiennage des troupeaux : réservé aux enfants et petits-enfants, contribuant dès le plus jeune âge à l’économie familiale.
2. Les rôles au sein de la famille
a. Le père (Amghar)
Chef suprême du foyer, le père incarne l’autorité et le lien avec la tradition. Sa fonction dépasse le cadre familial pour s’inscrire dans la vie communautaire : il siège aux assemblées villageoises, gère les finances et décide des alliances matrimoniales de ses enfants. Le mariage est envisagé comme une stratégie sociale ou économique, et non comme une affaire individuelle.
b. La mère (Thamgharth)
Si le père détient l’autorité publique, la mère règne sur l’espace domestique. Elle supervise les brus et les filles, distribue les provisions nécessaires à la préparation des repas et gère la rareté des ressources (notamment la viande). Elle arbitre les conflits familiaux avec un souci constant d’équité.
La répartition alimentaire obéit à un ordre hiérarchisé : les hommes mangent les premiers, suivis des femmes et des enfants. Les filles célibataires, cloîtrées après la puberté, poursuivent leur apprentissage domestique sous la tutelle des brus. Leur mobilité est strictement surveillée, signe de l’importance accordée à l’honneur familial.
Exemple ethnographique
Un récit rapporté illustre cette rigueur : lorsqu’un invité fit allusion à une jeune fille aperçue à la fenêtre, son père y vit une atteinte à l’honneur de sa maison et en punit sévèrement son épouse, accusée de négligence. Cet épisode témoigne de la vigilance extrême attachée au contrôle de la réputation féminine.
c. Les brus
Les brus constituent la force de travail centrale de la maison. Elles assument à la fois les tâches domestiques et agricoles :
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Deux s’occupent de la cuisine, de l’entretien et du nettoyage, sous l’œil de la mère.
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Deux autres participent aux travaux des champs et à la récolte.
La corvée de l’eau, effectuée collectivement, est un moment essentiel de sociabilité féminine. La fontaine, espace réservé aux femmes, devient aussi un lieu d’interactions sociales et de rencontres, même si le choix conjugal reste contrôlé par les parents.
3. L’émigration comme ressource familiale
L’économie familiale kabyle repose en grande partie sur l’émigration, phénomène ancien et massif. Les fils quittent régulièrement le village pour exercer des activités commerciales ou travailler dans les mines et usines, notamment en France ou dans le Sud algérien. L’argent ainsi gagné finance l’entretien de la famille élargie restée au village.
Cette mobilité est régulée collectivement : les frères s’organisent pour alterner les périodes de présence au village et au travail. De retour, le kabyle ne s’abandonne pas à l’oisiveté : le travail agricole ou artisanal est perçu comme une activité valorisante, le repos véritable étant étranger aux mentalités.
Conclusion
La famille kabyle traditionnelle illustre un modèle de solidarité et de complémentarité, où chaque membre joue un rôle précis dans la survie et la reproduction du groupe. Le père incarne l’autorité et la continuité sociale, la mère gère l’économie domestique, les brus fournissent l’essentiel du travail quotidien, et les fils assurent les ressources extérieures par l’émigration.
Si ce modèle a été profondément transformé par les mutations économiques, l’urbanisation et l’individualisation des modes de vie, il demeure un élément essentiel de l’identité kabyle et une clé de lecture des rapports sociaux en Kabylie.
Source : Youcef AIT-MOHAND, Quelques Us et Coutumes de Kabylie, manuscrit non publié, Béjaïa, octobre 2011.
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