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26/10/2017

Le garçon kabyle, de la naissance au mariage.

La naissance

Deux vieilles se rencontrent en chemin :

  • A thinath, frah’gham,thislithim dh’aqchiche ayernoune ghourès,ivane woudhmis ! (Je suis contente pour toi, ta bru aura un garçon, ça se voit sur son visage !)
  • Adhihrez Rebbi arrawim ! Woussene ? Mayvgha Rebbi,noukni dhayene inavgha » ! (Que Dieu préserve tes enfants ! Qui sait ? Si Dieu le veut, nous aussi, nous le voulons)

Avant sa naissance déjà, le garçon devient sujet de fantasme des grand’mères.

La femme kabyle enceinte ou pas, est soumise au même régime. Elle est tenue de faire face à toutes ses obligations domestiques et ce, jusqu’à l’ultime instant.

A la première alerte, la mère fait appel à l’accoucheuse (elqivla) attitrée du village qui arrive accompagnée de ses « assistantes ». Quelques instants après, on entend un vagissement. C’est un garçon ! C’est un garçon ! s’écrie la sage femme. Aussitôt des youyous fusent ! Le grand père anxieux, qui attendait dans le vestibule la délivrance de sa belle fille, sort son fusil et tire deux coups de feu à balles réelles. «A thamgharth asensemi Saïd ! Thsilddh negh ala ?» «Ih yervah,Essaïd, adh saâdhe Rebbi oussanis dh’woussane enagh inchaallah !» «Femme ! Nous l’appellerons Said ! Tu as entendu ? Oui ! Said ! Que ses jours et nos jours soient heureux !» lui répond sa femme. L’accoucheuse coupe le cordon ombilical, enveloppe le nouveau-né dans un linge propre, et le remet à sa grand mère. On s’occupe ensuite de la maman. Une couche propre où elle doit rester allongée pendant sept jours, lui est préparée. A côté d’elle, on place un tout petit lit destiné à recevoir le nouveau-né. Près de l’enfant, la grand-mère dépose quelques objets symboliques : Amsedh (le gros galet qui sert habituellement à aiguiser les couteaux et les haches, symbole de la résistance), Imcheddh (le gros peigne des cadreuses de laine, qui symbolise les griffes comme celles du lion) El mouss  (le couteau, qui symbolise le courage et l’agressivité).Elle dépose également un peu de sel, et quelques herbes.

Durant deux ou trois jours, la famille ne cesse pas de recevoir les félicitations de tous les habitants du village. Les femmes viennent par groupe souhaiter longue vie au bébé et bon rétablissement à la maman, elles reçoivent toutes en retour, une tasse de café et un beignet. Au troisième jour de la naissance, les parents de la belle fille viennent apporter «lehna n’tlalith» (viande, semoule, beurre, œufs, café, sucre).Ils sont conviés à prendre le déjeuner préparé à leur intention et, avant de repartir, ils demanderont à voir le bébé pour l’embrasser et déposer sur ses langes quelques billets de banque. La maman, leur sœur et fille, confuse, les remercie timidement.

La bru, pendant une semaine est dorlotée. On la gratifie de repas amélioré (viande braisée, omelettes et bouillons de toutes sortes) c’est le grand père lui-même qui veille au confort de sa belle fille, mère de son petit fils.

C’est l’accoucheuse (elqivla) qui s’occupe de la santé et de l’hygiène du nouveau né. Chaque matin et cela pendant sept jours, elle vient changer les langes du bébé, s’en quérir des nouvelles de sa santé, et procéder à son massage. (Avec un mélange de cumin et d’huile d’olive, elle commence par frictionner les membres inférieurs du bébé, puis ses membres supérieurs et finit par sa poitrine et son dos).Au bout du septième jour, la belle fille enlève les habits dans lesquels elle avait accouché et les confie à l’accoucheuse qui se chargera de les nettoyer. Elle se lave, s’habille d’une robe neuve, s’entoure la taille de sa ceinture de laine avec l’aide toute symbolique d’un jeune garçon, mâche un bout d’écorce de noyer pour donner des couleurs à sa bouche, se pare de ses bijoux (At’hanek) et rejoint les autres membres de la famille réunis dans la salle commune (Akham laâyal). De son côté, la grand-mère suspend à la poutre centrale de la grande salle le berceau fait en tiges d’oléastre, prend dans ses bras son petit fils et le dépose à l’intérieur tout en marmonnant quelques prières  de sa propre composition.

Pendant quarante jours, la belle fille est dispensée de toute tache ménagère. Elle prend soin d’elle-même et de son bébé. Pendant tout ce temps, elle fait chambre à part, loin de son époux.

Au quarantième jour, la belle fille prend un grand bain chaud, s’habille de vêtements de tous les jours et reprend ses activités normales au sein de la famille. Le grand père profite de l’occasion pour régaler les membres de sa famille avec un bon couscous aux légumes et viande. La nuit venue, la belle fille rejoint son mari dans leur chambre et la vie reprend son cours habituel avec les vagissements intermittents du nouveau-né, en plus.

Comment langer un bébé à la façon kabyle?

Au bout du septième jour, l’accoucheuse termine sa mission et la grand-mère prend le relais. C’est elle qui se charge du massage et de l’emmaillotage de bébé et cela, durant au moins quarante jours, période de convalescence de sa belle fille.

Pour langer son petit fils, la grand-mère s’assoit par terre, prend un linge propre assez large et l’étale sur ses jambes allongées. Elle ajoute dessus ensuite, un autre tissu plus petit mais plus épais qui servira de couche-culotte puis délicatement elle dépose le bébé. Avec le tissu couche culotte, elle isole les petites fesses de bébé du reste de son corps, puis prend le bras droit du petit enfant, l’allonge au maximum le long de son petit corps et le bloque en serrant assez fort avec la partie droite du linge, elle répète la même opération pour le bras gauche puis à l’aide d’un large ruban (thatsalt) elle emmaillote le bébé des épaules jusqu’aux  pieds. Enfin pour terminer, elle procède à un rituel : Elle croise sur le corps de bébé emmailloté ses bras de droite à gauche puis de gauche à droite tout en claquant des doigts (le pouce et le majeur). Ce geste rituel a plusieurs explications mais la plus plausible c’est celle qui rappelle le passé chrétien de la Kabylie. En effet, ce geste de croisement de bras en x rappelle étrangement celui  de la croix.

De sa naissance jusqu’à son mariage, tous les premiers actes de la vie d’un garçon kabyle sont des prétextes pour faire la fête. Il y va ainsi de sa première sortie, de sa première coupe de cheveux, de son premier marché, de sa circoncision, de son premier jour de jeun et de sa rentrée en tant qu’adulte à la djemâa.

B) PREMIERE SORTIE

Le garçon kabyle, durant sa première année de vie ne peut être vu que par les membres de sa famille. Dès qu’une femme étrangère à la maison veut rentrer, elle s’annonce par un « Ghoum aqchiche » - couvre le garçon – Pour réponse, elle reçoit un hypocrite « Rentre, l’enfant dort, mais il n’égalera jamais ton merveilleux fils ! »

Le jour de sa sortie, la grand-mère fixe sur le col de la gandoura du petit garçon les talismans protecteurs (contre le mauvais œil, contre les génies maléfique et contre les gens envieux). Elle lui passe autour du cou un petit collier fait de petits coquillages, d’une pièce en argent massif et d’un tas de petits talismans pour le prémunir de toutes les mauvaises rencontres. Elle le remet ensuite à son grand père qui le prend avec un affectueux « Bismillah » - au nom d’Allah – et sort fièrement de la maison avec son petit fils dans les bras. Il se dirige directement à la djemâa où il reçoit les félicitations de tous les hommes qui s’y trouvent : « Adhi varek Rebbi ! InchaAllah at’hadhraddh itharas  dh’ezoudjiss !» « Amine à Rebbi » répond le grand père tout heureux. Le soir, on améliore le dîner par un bon berkoukès aux œufs durs.

C) PREMIERE COUPE DE CHEVEUX 

Quand le garçon arrive à sa deuxième année, le grand père en accord avec la famille décide de lui couper symboliquement les cheveux.

Avant de procéder à la coupe proprement dite, le grand père se rend au marché et achète  une belle tête de veau, car sans elle, point de coupe de cheveux. Il invite ensuite les grands parents maternels de son petit fils et les membres proches de sa famille puis il procède au cérémonial de la coupe des cheveux. Le petit garçon arrive dans les bras de sa maman qui le remet à son grand père maternel et pendant que celui-ci le tien, le grand père paternel se saisit d’une petite mèche de cheveux et la sectionne d’un coup de ciseaux. Le geste est accompagné des youyous et de quelques salves de baroud. Le soir les deux familles et les cousins se réunissent autour d’un couscous à la sauce bouzelouf avec pour chacun des convives, un volumineux morceau de viande bien grasse.

D) PREMIER JOUR DE MARCHE

C’est généralement lors de la veille de la fête de l’Aïd Kébir (Thaswiqth) que le garçon kabyle fait son premier marché.

Dès le matin, le garçon est paré de ses beaux habits. Avec l’aide de sa mère, il enfile sa longue gandoura tout neuve ceinte au milieu d’une ceinture de laine puis ajoute l’inamovible burnous d’un blanc immaculé dont il se couvre les épaules et la tête. Pour le prémunir contre de mauvaises rencontres, la maman n’oublie pas de fixer au pan droit du burnous que porte son fils, quelques amulettes qu’elle a pris soin auparavant de commander à l’imam du village. On ne sait jamais ! Il vaut mieux prendre ses précautions avec tous ces djinns   malfaisants qui circulent…). Le garçon est emmené au marché par son grand père, quelques fois par son père.

Dès que l’enfant est installé sur le dos de l’âne ou du mulet, les youyous de la maman et des femmes de la maison fusent instantanément. En sortant de la maison, avec son petit fils juché sur l’âne qu’il tient solidement par le licou, le grand père n’oublie pas de lancer un salut plein de dévotion à tous les saints de la contrée.

 Au marché, le garçon est gâté. Son grand père ne lui refuse rien. Les cousins et les connaissances qui le rencontrent entre les étals, tenant solidement la main de son grand père  lui glissent avec un sourire, qui une pièce de monnaie, qui un billet de banque, d’autres lui achètent des friandises ou des jouets.

Le grand père, avant de prendre le chemin du retour fait une petite virée à la «rahva» de la viande pour acheter l’inévitable tête de veau.

Dès leur retour à la maison sous les youyous de toute la famille, les femmes du quartier et du village viennent en procession féliciter la maman contre une bonne tasse de café bien chaud. Le soir, tout le monde (famille et cousins) est là pour partager le repas de circonstance : un couscous à la sauce bouzelouf avec pour chacun des convives, un morceau de viande bien grasse.

E) LA CIRCONCISION

Généralement c’est à l’âge de quatre à cinq ans que l’on procède à la circoncision du garçon.

Pour ce faire, une cérémonie (thamaghra) est organisée. Les parents du garçon une fois la décision prise, prennent rendez-vous avec le Mâalem et fixent la date de la circoncision de commun accord.

La fête commence par le roulement du couscous et l’achat du veau. Deux jours avant, on procède au reste des achats (légumes, café, sucre etc.) et on lance les invitations.

Les filles mariées, les tantes et les cousines arrivent les premières pour aider à préparer les repas de la cérémonie. La veille de la circoncision on tue le veau en présence de tous les parents et hommes  du quartier. Le soir, c’est le rituel du henné. Pendant que le garçon habillé de neuf pour la circonstance est tenu dans les bras d’une sœur, d’une cousine ou d’une femme choisie auparavant(selon les affinités et l’humeur de la mère), la maman habillée de sa plus belle robe et de son plus beau foulard (Amendil e t vouthachrourène) qu’elle agrémente du volumineux avzim qui pend sur le côté droit de son front jusqu’à atteindre l’arcade sourcilière, prend un grand plat dans lequel elle met une petite boite de henné, des œufs, des grains de blé des légumes secs et un billet de banque. Tout en invoquant les noms d’Allah et des saints gardiens du village, elle ouvre la boite de henné  et verse une petite quantité dans une assiette qu’elle mouille avec un peu d’eau tout en la malaxant avec ses doigts jusqu’à ce qu’elle obtienne une pate homogène et légèrement liquide, elle saisit ensuite la main droite de son fils et étale délicatement dessus  cette pate de henné qu’elle couvre pour finir, d’un petit tissu blanc prévu à cet effet. Enfin La maman lance un youyou strident, suivi immédiatement de ceux des femmes de toute l’assistance. Puis tous les présents s’approchent du garçon, objet de toutes les attentions, pour l’embrasser et lui donner un billet de banque, (el khir el henni).

Après la cérémonie du henné, les convives  sont invités à prendre place pour le dîner. Au menu, couscous et tête de veau. Après avoir mangé, on passe aux réjouissances. Tout le monde danse au son du bendir et de la chorale des femmes jusqu’à une heure avancée de la nuit.

Le lendemain c’est le grand jour.

Les femmes de bonne heure pétrissent une grande quantité de semoule pour les galettes du déjeuner, les vieilles femmes préparent la viande à braiser et mettent les œufs à cuire dans une grande marmite pleine d’eau bouillante (Lorsqu’il s’agit d’une circoncision, les invités et les hommes du village ont droit à deux repas. A midi c’est steack coupé en menu morceaux mélangé aux œufs durs, le tout  arrosés de beurre fondu. Le soir, c’est couscous sauce légumes frais et viande.)

Vers dix heures du matin arrive le mâalem accompagné de l’imam. Ils reçoivent un accueil plein d’égards. On les installe dans une pièce proprement aménagée et on leur sert à manger. Quand arrive le moment fatidique, le garçon habillé de sa gandoura blanche et tout apeuré, arrive dans les bras de son oncle paternel et, pendant qu’il le tient et le distrait, le mâalem se lève s’approche discrètement de lui, soulève la fouta qui couvre ses petites jambes et en une fraction se seconde, sectionne le prépuce d’un coup de ciseaux. L’oncle va ensuite déposer son petit neveu en pleurs dans le petit lit que sa maman lui a préparé et tire de son portefeuille un gros billet de banque qu’il lui dépose à l’intérieur de sa chéchia tout en le consolant. Le bout de chair excisé est remis à la maman qui le passe en travers d’un petit roseau et va le coincer entre les poutres du toit de la soupente (Tharichth). Il restera là jusqu’à ce qu’il pourrisse et tombe en poussière.

A midi commence la procession des hommes du village (un par maison) qui viennent manger de petits bouts de viande braisée mélangés aux œufs durs (Akanaf t’melaline) arrosés de beurre fondu. Ce repas offert est accompagné de galette faite maison (Aghroum aqorane). En fin de repas tous les invités donnent discrètement un billet de banque au père du garçon que celui ci s’empresse d’enfouir dans l’une de ses profondes poches. Le soir, les mêmes personnes sont conviées une deuxième fois à un couscous aux légumes frais et viande.

Le garçon qui compte désormais parmi les musulmans, reprend au bout de trois ou quatre jours ses jeux et ses bêtises sans quitter sa fameuse  gandoura maculée de taches de mercurochrome et encore enguirlandée de quelques amulettes protectrices.

F) PREMIER JOUR DE RAMADHAN

Lorsqu’un garçon kabyle atteint l’âge de huit à dix ans, ses parents l’encouragent à étrenner son premier jour de Ramadhan.

La maman du jeune garçon préposé à son premier jour de jeun, se rend à la source du village et remplit une petite fiole. En cours de route, elle ramasse sept petits cailloux et les introduit dans la petite fiole remplie d’eau qu’elle garde précieusement jusqu’à la rupture du jeun. Dès l’Adhan annoncé, on fait installer le jeune garçon dans un endroit de la maison de telle sorte qu’il domine tout le monde, sur le banc (adhoukane) de la salle commune par exemple, ou quelque fois carrément, sur le toit de la maison. C’est là que son père lui donne à boire, pour casser le ramadhan, une gorgée ou deux  de cette eau contenue dans la petite fiole que sa maman avait puisée de la source du village. Après ce petit rituel, le petit garçon qui auparavant avait invité ses amis, descend de son perchoir et vient partager avec eux, le repas amélioré  et le gâteau aux œufs (thahvoult netmelaline) que sa maman avait préparé à son intention. Puis le garçon reçoit les félicitations de ses amis et de tous les membres de sa famille qui le gratifient de quelques billets de banque en guise de récompense pour le courage et l’endurance dont il a fait preuve.

G) MARIAGE

A sa puberté, le garçon rentre à la djemaa. Il a sa place désormais parmi les adultes. Il assiste aux réunions du village et du quartier (adhroum). Lorsque son père est présent lors de ces réunions, il s’abstient d’intervenir, sauf si on lui demandait expressément son avis. 

Dès leurs pubertés, le garçon et la fille deviennent des sujets de préoccupation pour leurs parents. Il faut donc absolument les « caser ». Le père pour marier son fils, s’entoure de beaucoup de précautions. Il procède discrètement à une enquête de bonnes mœurs sur la famille dont la fille est convoitée, sur leurs moyens de fortune, sur leur sens de l’honneur, sur leur façon d’appliquer les préceptes traditionnels (Thaqvaylith et thirougza). Si toutes ces investigations s’avéraient  favorables, il envoie son épouse accompagnée d’une cousine ou deux femmes de confiance du village, (thinakhdhavine) chez la mère de la fille. Elles sont reçues courtoisement et «la délégation» explique le motif de sa visite :

« Nous sommes du village «flène» de la famille «feltene» on nous a dit beaucoup de bien de vous, nous voudrions avec la grâce de Dieu que vous nous accordiez votre fille pour notre fils. Notre famille est très connue, notre marché est commun au vôtre, nos hommes doivent certainement se connaître ». «Nous sommes très honorés par votre demande, je vais en référer à son père et sous huitaine vous aurez notre réponse et nous officialiserons Incha Allah notre alliance»

Le père de la fille procède lui aussi à la même enquête sur la famille du garçon et au bout de la semaine, comme promis, il rend son «verdict» et la mère de la fille avise la famille du garçon de leur accord. A ce moment les hommes rentrent en scène. Les deux pères (du garçon et de la fille) se rencontrent au marché et fixent les modalités de l’union (la dot, le trousseau, le nombre de convives, la date de la célébration etc.). Le soir, après dîner le père appelle son fils dans un coin de la cour (el harra) et l’informe de ce qu’il a décidé pour lui : «Mon fils, te voici devenu homme, tu as désormais ta place à la djemâa, il nous faut te marier. Pour cela, j’ai contacté Flène, un homme de bonne famille, honnête et travailleur, je lui ai demandé sa fille pour toi, il m a donné son accord ce matin au marché et nous avons arrêté la date des noces pour après l’Aid Kebir N’cha Allah)». Le fils, le visage cramoisi par la gêne et la pudeur, embrasse sur le front son père en signe d’obéissance et de respect puis ils regagnent ensemble la salle commune (akham lâayal) où les attendent la mère les sœurs et les belles sœurs qui lancent pour l’heureuse circonstance de discrets youyous.

Une semaine avant le début des festivités, les deux familles se revoient pour régler les derniers détails. Le père du garçon procède aux achats nécessaires (semoule, café, sucre, thé, légumes   secs etc.) Il achète après avis de sa femme, ce qu’ils mettront dans la valise de la mariée (Robes, foulards, chaussures, parfum, henné, savon,). Le jour des noces, la valise sera portée par une femme que choisira la maman du garçon, et l’heureuse affectée au port de thisnits reçoit ce geste comme une marque d’amitié et de considération.

Pour éviter qu’il maigrisse, le bœuf qu’on tuera pour l’occasion ne sera acheté que deux ou trois jours avant le début de la fête. Les sœurs mariées et les tantes paternelles et maternelles sont invitées une semaine à l’avance, elles doivent absolument participer au roulement du couscous, sinon elles bouderont tout au long de la cérémonie. A deux jours du début du mariage, on égorge le bœuf en présence des notables du quartier que le père a prit le soin de convier. Le lendemain après midi, une délégation accompagne le père du marié et se rend chez celle de la mariée, elle lui remet ce qui lui a été préalablement exigé (un mouton vivant, un quintal de semoule auxquels il est ajouté le repas du henné – imenssi elhenni-). Elle lui fournit également le nécessaire en  denrées, couscous et viande pour préparer le repas que consommeront sur place les membres du cortège nuptial (Ifathour iqafafene). La nuit précédant celle des noces, on procède au rituel du henné pour le marié. La cérémonie du henné est considérée comme l’un des moments clef de la fête. Pour ce faire, la maman met dans un grand plat, une petite boite de poudre de henné, des œufs, du sucre et des légumes secs, symboles de fécondité (fèves, haricots blancs, lentilles et quelques grains de blé) puis dans un petit bol, elle mélange le henné à de l’eau ,elle le pétrit jusqu’à ce qu’elle obtienne une pate verdâtre et homogène puis elle l’étale avec délicatesse sur la paume de la main droite de son fils .Elle recouvre ensuite entièrement la main d’un mouchoir de soie et lance un youyou de circonstance auquel répondent en écho ceux des autres femmes. Viennent ensuite en procession les invités pour déposer dans le plat qui a servi au henné, des billets de banque (Ces dons en argent sont une forme de participation aux frais occasionnés par la fête).On l’appelle «El khir el henni». Tout le village est invité à un couscous viande servi dans de grands plats en bois de frêne .A la fin  du repas, l’imam récite la fatiha contre une ziara et on passe à l’ourar : c’est la danse, les chants au son du tambourin et de thizemarine et ce, jusqu’à une heure tardive de la nuit.     

Le lendemain c’est le grand jour. Levé de bon matin après une courte nuit de sommeil, le père du marié supervise les derniers préparatifs de départ. Le nombre de personnes qui seront du voyage est déjà arrêté. En plus des membres des familles proches, chaque «maison» du village doit déléguer son représentant. Un cortège de voitures est formé.- Avant, la mariée était ramenée juchée sur le dos d’un mulet avec un petit garçon monté en croupe derrière elle, (j’ai vécu personnellement cette situation en 1953) – La voiture qui transportera la mariée est ornée de fleurs, de rubans et de guirlandes de toutes sortes. Le père du mari ou le plus âgé de la famille montera à côté du chauffeur, tandis que deux femmes choisies par la mère monteront derrière avec la mariée. Le cortège s’ébranle dans un tintamarre de klaxons, de youyous, de coups de feu de bendirs et de chants. Dès l’arrivée au village des futurs beaux parents, la femme portant la valise (Thisnits) sur la tête ouvre la marche, elle est suivie par les autres femmes et les hommes du cortège toujours dans un tintamarre indescriptible. Les femmes sont directement orientées vers la chambre de la mariée tandis que les hommes vers une grande salle où déjà, le déjeuner est servi .Tout le monde s’installe et mange de bon appétit. Une fois le repas liquidé, commence la cérémonie de demande en mariage. Se réunissent autour de la table, les pères des futurs époux, l’imam et l’ensemble des hommes conviés qui constituent autant de témoins selon la chariâa. L’Imam prend la parole pour rappeler les préceptes religieux relatifs au mariage, les obligations et devoirs de chaque époux puis donne la parole au père du garçon :

  • Au nom d’Allah le Miséricordieux, Prière et Salut sur son Prophète Mohamed (Il répète cette formule trois fois de suite), Si Mohand, je suis venu chez toi aujourd’hui pour te demander de m’accorder ta fille Keltouma comme épouse légale et légitime à mon fils Arezki ! (Il réitère cette demande trois fois de suite)
  • Le père de la fille lui répond en récitant par trois fois la formule religieuse (Au nom de……..) puis en ces termes : Si L’hadj, je t’accorde ma fille Keltouma comme épouse légale et légitime pour ton fils Arezki (Il réitère son accord trois fois) puis le père du marié sort de sa poche une grosse liasse de billets de banque qu’il dépose sur la table. Le père de la fille prend la liasse, en tire le plus discrètement possible la somme convenue auparavant et dit au père du marié : « Reprends ton bien – Ajmâa arazqik »les deux nouveaux alliés s’embrassent sous les «mabrouks» sonores de l’assistance. (Il faut préciser que si le père du garçon met sur la table une grosse liasse de billet, c’est uniquement dans le but de soigner son égo et épater l’assistance. Chez les Kabyles, la somme convenue en paiement de Tâamamt est tout à fait symbolique et n’est acceptée que parce qu’elle est imposée par la loi islamique). L’imam récite la Fatiha et la cérémonie religieuse du mariage s’achève. Le père du marié en chef de délégation donne le tempo de départ. On commence par charger le trousseau de la mariée dans le fourgon prévu à cet effet puis vient le tour de la mariée de sortir accompagnée de sa mère, et de toutes ses cousines, elle est aidée à prendre place dans la voiture et le cortège démarre pour le voyage du retour.

Arrivée au village, la mariée accompagnée de youyous, et de chants des femmes est escortée vers sa nouvelle maison par ses belles sœurs, elle est dirigée directement dans sa chambre nuptiale où elle attendra avec anxiété l’arrivée de son mari qui ne rentrera que tard dans la nuit. (Dans la plupart des cas, les jeunes époux ne se connaissent pas et feront connaissance pendant la nuit nuptiale)

Une fois la nuit venue, des invités ils ne restent pour diner, que les parents proches de la famille. Tous les autres sont repartis et ont regagné leurs domiciles.

Après dîner, la mère remplit un couffin de friandises, d’œufs durs, de gâteaux maison et de beignets (laadha) et va le déposer dans la chambre nuptiale. Vers les coups de minuit le nouveau marié accompagné de ses amis pénètre discrètement dans sa chambre, prend le couffin plein de friandises et le donne à un de ses amis, puis il rejoint son épouse. Le lendemain, très tôt, le marié quitte sa chambre et va retrouver ses amis qui l’attendent à la djemaa tous curieux de savoir comment s’est passée sa nuit.

Juste après la sortie de son fils, la mère accompagnée de ses filles et de ses brus, va dans la chambre nuptiale pour constater de visu, la consommation du mariage. La nouvelle belle fille lui montre un petit mouchoir de tissu blanc maculé de sang. Satisfaite et heureuse, la mère lance un youyou strident, façon d’informer la communauté sur l’état viril de son fils et de la pureté de sa toute jeune bru. Toute à sa joie, la belle mère sert à sa nouvelle bru son petit déjeuner et appelle ses filles pour l’aider à s’habiller. La nouvelle mariée met sa plus belle robe, son plus beau foulard et tous ses bijoux et s’assoit sur le lit (atâadjer). C’est dans cette position assise qu’elle ne doit quitter sous aucun prétexte, (le premier jugement qui sera porté par sa belle mère, le sera sur sa capacité à ne pas bouger et son endurance. Aâdjer est une véritable épreuve et la mariée doit éviter au maximum de bouger, surtout devant les femmes étrangères à la famille) que les femmes du village la trouveront lorsqu’elles viendront la voir et lui donner de l’argent (elhaq net mezrith). Une fois la procession des femmes du village terminée, la mariée est autorisée à se lever pour se dégourdir les jambes à l’intérieur de sa chambre puis se hâtera de donner à sa belle mère tous les billets de banque qu’elle a amassés.

«Yachveh  yerveh » c’est avec cette formule pleine de sous entendus que la mère du marié recevra la délégation familiale de la jeune mariée. (La délégation comprendra : la mère, le père, les frères, les sœurs, les belles sœurs, les tantes et oncles et les cousins). Quand la délégation arrive avec un chargement conséquent constitué de quartier de viande, de semoule, de beignets etc., les femmes vont directement dans la chambre de la mariée pour constater elles aussi, la consommation du mariage, et lancer comme la mère, des youyous de satisfaction. Les hommes quant à eux sont installés dans la grande salle où les rejoindra le marié qui déjeunera avec eux. Vers la fin de l’après midi, et avant leur départ, le père, les frères et les cousins demanderont à voir la mariée. Leur demande est immédiatement satisfaite. Ils la voient, la félicitent et chacun d’eux lui glisse dans la main un joli billet de banque. Puis la délégation des nouveaux beaux parents prend congé, satisfaite des conditions de vie et de confort dans lesquelles baignera désormais leur fille. Cette dernière visite appelée « Anekchoum Boukham » marque la fin des festivités des noces. Le lendemain, les lampions de la fête éteints, la vie reprend son cours normale : sauf pour la nouvelle épouse.

En effet, durant une semaine la jeune femme ne participe à aucune tâche de la maison, elle passe ses journées à observer et à s’imprégner des habitudes de ses vieux, de ses beaux frères, et de ses belles sœurs. Elle enregistre, se renseigne, fais  attention à tous les faits et gestes de chacun des membres de sa nouvelle famille. Le septième jour, de bon matin, la jeune mariée aidée de ses belles sœurs s’habille d’une belle robe, se couvre la tête d’un foulard brodé sur lequel elle accroche une grosse broche (Avzim vou thechrourine) (Avzim vou thechrourine n’est porté par la femme qu’en présence de son mari ou par la femme mère d’un ou plusieurs garçons. Par contre la broche appelée «thaharavth, la protectrice » est portée par la femme en tout temps, elle sert à éloigner le mauvais œil) se pare de ses beaux et pesants bijoux et, la cruche en argile rouge toute neuve sur le dos ou sur la tête, elle se rend à la fontaine accompagnée de toutes les femmes de la famille. « Ak midjâal Rebbi tassâadith a thislith ! »(Sois bien heureuse, nouvelle mariée !) lui disent toutes les femmes qu’elle rencontre en cours de chemin. Elle, heureuse et rayonnante, leur rend la politesse par un timide « Adhihrez Rebbi argazim  dh’warawim ! » - Que Dieu garde ton mari et tes enfants ».

Le matin du huitième jour, la nouvelle bru met une robe de tous les jours, s’entoure la taille d’une forme de ceinture en laine de quatre mètres « Thisfifine » se couvre des hanches jusqu’aux chevilles d’une grande foutta  en laine appelée « Timehremte » et la voilà prête à prendre son tour et à assurer sa part de travaux domestiques (Atatef ennouvas) sous le regard  discret mais attentif de sa belle mère. 

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Source: "Quelques Us et Coutumes de Kabylie, "Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia, Octobre 2011.

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