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28/09/2025

Tassaft Ouguemoun : organisation sociale, traditions et mémoire

1. Introduction

Tassaft Ouguemoun, village kabyle situé dans la commune d’Iboudrarène (wilaya de Tizi-Ouzou), illustre les caractéristiques d’une organisation villageoise traditionnelle fondée sur la solidarité lignagère, la gestion collective des ressources et une forte dimension religieuse. Cet article propose une lecture anthropologique de son organisation sociale et culturelle, en insistant sur la place des âarchs, de la tajmaât et des traditions spirituelles.

2. Organisation lignagère et rôle des âarchs

Comme de nombreux villages kabyles, Tassaft Ouguemoun s’organise autour d’unités lignagères appelées âarchs. Chaque âarch regroupe les descendants d’un ancêtre commun et constitue un cadre de solidarité :

  • entraide économique (agriculture, construction, pâturage),

  • solidarité en cas de conflit ou de litige,

  • transmission des terres et gestion du patrimoine foncier.

Les âarchs structurent également la mémoire collective, en assurant la continuité entre générations par la transmission orale des récits fondateurs et des événements marquants.

3. La tajmaât : institution villageoise

Au sommet de l’organisation communautaire se trouve la tajmaât, assemblée des hommes adultes du village. Elle exerce plusieurs fonctions :

  • arbitrage des conflits internes,

  • organisation des travaux collectifs (tiwizi),

  • gestion des terres collectives, des forêts et des points d’eau,

  • coordination des rites religieux et festifs.

La tajmaât incarne une forme de démocratie villageoise fondée sur le consensus. Bien que sa place se soit transformée à l’époque contemporaine, elle demeure un symbole de l’autorité collective et de l’autogestion kabyle.

4. Traditions religieuses et rôle des zawiyas

La dimension religieuse occupe une place centrale dans la vie du village. Plusieurs familles entretiennent des liens avec des lettrés (tolba) et des maîtres spirituels issus des zawiyas régionales. Ces figures assurent la transmission du savoir islamique, l’enseignement coranique et la médiation spirituelle.

Les pratiques religieuses sont aussi collectives :

  • fêtes de l’Aïd et du Mawlid,

  • rituels liés au calendrier agricole,

  • prières collectives et invocations pour la pluie (talghunja).

Ces traditions témoignent d’un islam enraciné dans la vie rurale, combinant la pratique orthodoxe et des éléments de religiosité populaire.

5. Solidarités et rituels communautaires

La vie sociale est rythmée par des formes d’entraide :

  • tiwizi (travaux collectifs pour la récolte, la construction ou la réparation des routes),

  • participation financière et matérielle lors des mariages ou des funérailles,

  • assistance aux familles endeuillées ou frappées par des difficultés.

Ces solidarités renforcent l’unité du village et permettent d’affronter collectivement les aléas économiques ou politiques.

6. Mémoire et résistances

L’organisation villageoise a joué un rôle essentiel dans la résistance à la colonisation française au XIXᵉ siècle (insurrections de 1857 et 1871). Les réseaux lignagers et la tajmaât ont facilité la mobilisation des hommes et la circulation des informations. De même, pendant la guerre de libération (1954–1962), ces structures communautaires ont servi de relais logistique et de soutien aux maquisards.

7. Enjeux contemporains

Aujourd’hui, Tassaft Ouguemoun est confronté à de profonds changements : exode rural, scolarisation en milieu urbain, transformation des modes de vie. Ces mutations fragilisent l’organisation traditionnelle, mais la mémoire des âarchs, de la tajmaât et des traditions religieuses demeure un socle identitaire. Elle permet aux nouvelles générations de maintenir un lien avec leurs ancêtres et leur village d’origine.

8. Conclusion

L’étude anthropologique de Tassaft Ouguemoun met en évidence une organisation sociale marquée par la force des lignages, le rôle régulateur de la tajmaât et la centralité des pratiques religieuses. Ces structures, bien qu’éprouvées par la colonisation et la modernité, constituent encore aujourd’hui un cadre de référence pour comprendre la cohésion et la mémoire de la communauté villageoise.