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07/08/2017

Khali KACI: Un capitaine de l’armée française.

yyyyyyyyyyyyyyyyy.jpgKhali Kaci était l’oncle paternel de ma mère. Il était un homme raffiné et cultivé pour son époque. Il était respecté pour sa sagesse et son grade de capitaine de l’armée française acquis de haute lutte. Mes sœurs et moi l’appelions, affectueusement, Khali KACI. 

En hiver de l’année 1954,  il décida de m’emmener chez lui à Alger. C’était mon deuxième voyage durant les vacances.  Ma mère, qui détestait se séparer de moi eu égard à son traumatisme après la perte de son frère à  l’âge de dix ans après un voyage au Maroc, ne pouvait rien faire pour me retenir. Elle essaya en vain de dissimuler la grosse inquiétude qui se lisait sur son visage. Khali Kaci, pas dupe, la tranquillisa de son mieux et lui suggéra même de nous accompagner. Mais devant ses responsabilités de mère de famille, il lui était impossible de quitter le village. Contre mauvaise fortune, elle fit bon cœur et prit pour une longue semaine son mal en patience.     

Contrairement à ma mère qui allait se morfondre pendant toute mon absence, une semaine de rêve m’attendait à Alger. Partir d’un petit village de Kabylie aux ruelles pleines de boue et se retrouver dans la plus grande ville du pays avec ses grands boulevards tapissés de pavés, ses énormes magasins aux grandes vitrines toutes en lumière, avec la mer toute bleue en face et ses énormes bateaux, ces nombreuses voitures qui circulaient dans tous les sens et tous ces gens dans les rues qui marchaient presqu’au pas de course, pressés par je ne sais quoi, étaient pour moi, habitué au calme et aux grands espaces de ma montagne natale, un choc éblouissant. Je n’arrêtais pas de tarabuster mon oncle de questions. Je voulais tout savoir, tout comprendre. 

Mon oncle habitait une belle villa avec un beau jardin plein d’arbres et de verdure au niveau de Kouba. Dans la chambre de mon oncle, il y avait une grande armoire toute brillante qui avait, en son milieu, une énorme glace qui m’émerveilla lorsque je me vis dedans au complet de la tête aux pieds. Ca me changeait du miroir minuscule accroché au mur que ma mère avait acheté à un des nombreux colporteurs qui passaient, de temps en temps, au village et qui servait surtout à mon père pour pouvoir se raser.

Deux jours avant mon retour au village, mon oncle et son épouse Khalti Yamina, m’emmenèrent au centre ville. Là, ils m’achetèrent de beaux habits (costume, chemise, petite cravate, un joli gilet en laine, des chaussures aux semelles de crêpe et un joli béret). J’étais tout de neuf vêtu, de la tête aux pieds. Après, nous nous sommes dirigés vers un bâtiment dont la porte toute en verre brillait de mille feux. A l’intérieur, la salle était pleine de fauteuils. En face, il y avait un mur d’un blanc immaculé. Une fois la salle remplie d’hommes, de femmes et d’enfants, on éteignit les lumières. Puis tout à coup, sur le mur blanc qui était en face de nous, des images toutes en couleurs apparaissaient. C’était la première fois de ma vie que je voyais un spectacle de cinéma. (Trente cinq ans plus tard, lorsque j’ai été voir un film dans l’actuel Dounyazad à la rue Abane Ramdane, j’avais tout de suite reconnu les lieux. Une intense émotion souleva tout mon être et des grosses larmes, que je ne pouvais retenir, inondèrent mon visage).

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A la sortie du cinéma, nous nous sommes rendus chez le photographe qui se trouvait juste en face de la salle de spectacles. La photo, qui immortalisa ces instants magiques et qui marqueront à jamais ma vie, est toujours chez nous au mur à la maison. Malgré les années, elle est précieusement gardée dans son cadre d’origine avec son ruban rouge un peu jauni par l’usure du temps (plus d’un demi-siècle) et portant, à l’arrière, la griffe de Khali Kaci: Ould Hamouda Kaci, Capitaine de l’armée française.

Mon oncle, qui n’avait jamais eu d’enfants, reportait tout son amour sur moi et sur ma sœur Ouerdîa à laquelle il a fait vivre, deux ans auparavant, la même semaine de rêve.

Lorsqu’il arrivait d’Alger avec son épouse pour passer quelques jours au village, il était toujours vêtu « à la Française » d’un costume croisé avec, sur le revers du veston, l’insigne rouge de la légion d’honneur et la tête couverte d’un fez écarlate. Le lendemain, en gandoura traditionnelle d’un blanc immaculé, il consacrait presque toute la journée à recevoir les cousins qui venaient lui souhaiter la bienvenue. Ses séjours créaient chez nous une grande animation et notre maison grouillait de monde. On avait toujours une ou deux personnes à diner. 

Un jour, il arriva au village avec de gros cartons et demanda de les transporter à la maison et de les manipuler avec soin. Intrigué, je sautillais d’impatience de savoir ce qu’il y avait dedans. Ce n’était que tard le soir, que mon oncle daigna enfin les ouvrir pour en sortir et nous faire découvrir d’étranges boites toutes en acajou et pleines de petits boutons qui brillaient. C’étaient un poste radio, un tourne disques et une trentaine de 78 tours des meilleurs chanteurs de l’époque tels que Slimane Azem, Hasnaoui, Zerrouk Alloua et autre Chérifa.

Emerveillé, je n’arrêtais pas de toucher, de tourner autour de ces jolies boites toutes rutilantes.

Mon oncle, toujours très attentionné, fabriqua lui-même un petit meuble avec trois compartiments où il plaça chaque élément. Tout en haut, il posa le volumineux poste radio, dans celui du milieu le tourne-disque et tout en bas, la pile des 78 tours.

Pour nous en montrer le fonctionnement, Khali appuya sur un petit bouton qui se mit tout de suite à clignoter, puis plaça un disque sur lequel il posa le petit bras muni d’une minuscule aiguille et comme par enchantement, la voix chaude de Bahia Farah en duo avec Slimane Azem fusa de la boite « Attass Issevregh , Adassadh negh adhzaoudjagh». Khali, pour taquiner Nana, lui dédia cette chanson qui traitait des hommes qui ne voulaient pas rentrer de l’exil (France) comme Dda Boudjemâa, son mari. Plus taquine encore que Khali, « Nana lui répondit par une boutade qui nous a fait tous rire aux éclats ».

A cette époque, nous étions l’une des rares familles dans le village à posséder un tel matériel.

Je me souviens encore de mon grand père maternel qui n’appréciait pas trop le bruit que faisait la radio surtout lorsqu’il entendait chanter une femme. Il trouvait cela indécent. Il le faisait savoir par ses cris et ses coups de colère. « Sanss el bost ! »  « Eteignez le poste! » qu’il criait.

Par une journée caniculaire de juillet de l’année 1959, Khalti Yamina, accompagnée de Dda Salah Ath Lamine, nous ramena dans un brancard Khali KACI mourant. Après trois jours d’une terrible agonie, il rendit son âme au Créateur en présence de Dda Salah resté depuis le début à son chevet. Au moment où survint le décès de Khali, l’opération « Jumelles » , déclenchée par l’armée coloniale, battait son plein. Le village était consigné et tous les hommes valides étaient transportés vers le village voisin des Ait Saada. Ce n’était qu’après des négociations  âprement menées que l’officier français consentit enfin à autoriser la mise sous terre de la dépouille de mon pauvre khali. Lui qui avait consacré quarante cinq ans de sa vie à cette armée ingrate qui lui refusa un enterrement décent. En effet, sa qualité d’ancien officier de l’armée française – il avait fait la campagne du Rif Marocain et les deux guerres mondiales – ne nous a été d’aucun secours.

Pour ne pas dépasser le temps imparti (deux heures) et éviter ainsi les remontrances de la soldatesque française, nous fûmes obligés de l’ensevelir sans cérémonie religieuse. Repose en paix Khali.

A la fin de l’enterrement, le pauvre Da Salah fût arrêté et envoyé rejoindre à Ait Saada les autres villageois qui y étaient soumis à toutes sortes de corvées avilissantes. Leur calvaire dura plus d’un mois. 

Après l’indépendance, la tombe de Khali fut dignement construite selon les rites de notre religion.

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Source: "Ma vie ou mes souvenirs", Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia 2011

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