Un regard en arrière permet de comprendre, malgré l'exil intérieur, l'attachement profond pour ce coin de terroir chargé de 2000 ans d'Histoire et de lutte incessante pour la liberté et la dignité des hommes. Que la rusticité du paysage et la rugosité des habitants ne fasse jamais oublier les trésors d'amour et de générosité dont ils ont toujours fait preuve.
Il est vrai que les expériences de vie dont j’ai pu être témoin ou acteur laissent une empreinte indélébile. Mieux que beaucoup, je peux comprendre tout cela, d'autant que ma région d'origine et ma famille ayant été en première ligne de toutes les résistances à travers notre Histoire et plus encore lors de la lutte de libération et tout ce qu'elle a nécessité de courage et de sacrifices m'ont donné une sensibilité exacerbée pour tout ce qui concerne la dette contractée par les nouvelles générations vis à vis de celles qui les ont précédées.
Tout notre respect et notre admiration leur sont dus, qu'ils soient vivants ou morts. Leur trace dans la mémoire collective restera à jamais vivace.
Aussi loin que remonte ma mémoire, elle me ramène toujours au sommet d’une colline, là où je suis né. Ce lieu, qui a bercé mon enfance et dont l’histoire remonte aux temps anciens, Tassaft ou Guemoun, un petit village kabyle, perché sur une crête, à un jet de pierre de la « Main du Juif » (thalettat), à égales distances des Ath Boudrar au sud, Ath Menguellet à l’est, Ath Ouacif à l’ouest, et Ath Yanni u nord.
Du cimetière familial de Sidi Ali Bounab, une vue à 360 degrés permet d’admirer :
– au nord, les Ath Ervah, Ath Yanni que le regard embrasse au premier plan et les contreforts des Ath Yirathen au second plan.
– à l’est, une fois franchi l’assif El Djemâa, les Ath Menguelleth, I Attafen, Aqbil. Sur une crête intermédiaire Ighil Bwammas fait la liaison avec les Ath Boudhrar dominés par le Djurdjura.
– au sud les Ath Boudrar qui sont adossés au Djurdjura
– à l’ouest, les groupes de villages des Ath Ouacif, Ath Bouakkach, Ath Sedqa, Ath Chebla et Thahachat et à l’horizon Azaghar (la plaine) mène à la zaouïa de Sidi Ali ou Moussa et plus loin aux Ouadhias et Boghni.
Son nom « Thassafth Ou Guemmoun » (le chêne du mamelon) est dû à l’arbre multi centenaire, accolé à un micocoulier (Iviqqes) symbolisant le Saint patron du lieu, Sidi Ali Bounab qui, aujourd’hui est le cimetière de ma famille. Cette dénomination revêt une importance particulière car il s’agit de l’importation et de l’hommage rendu au saint de la région d’origine du fondateur du village.
Jusqu’à sa mort en 1965, mon grand-père paternel Ibrahim, en sa qualité de descendant direct, organisait avec l’aide de Mohand Ouali nath Youcef (Meghalet) la zerda de Sidi Salem qui se tenait chaque année, en bordure de l’assif el Djemâa et regroupait les populations de Tassaft, des Ath Erbah et d’Agouni Ahmed. Un taureau y était sacrifié sur l’aire à battre censée représenter un des sanctuaires du saint. Ce sanctuaire, connu sous le nom de Sidi Salem n’Ouacif est constitué d’une aire à battre dominant la partie la plus rapide de la rivière dont les eaux cristallines sont dues à son fond rocheux. C’est sur cette aire qu’était sacrifié le taureau d’offrande au saint.
Il convient de signaler que ces dernières années, grâce à la sollicitude et au dévouement de la sœur de Mohand Ouali nath Youcef et des branches encore présentes dans la région, un petit mausolée, contenant une tombe symbolique a été érigé et que la tradition de la zerda annuelle a été relancée.
Le 10 juillet 2017, journée de canicule insupportable (48° à l’ombre en bordure de l’asif), j’y ai vécu un des moments les plus intenses de ma vie. En effet, depuis que les parents restés à Tassaft m’avaient informé, en 2014, de la possibilité d’y accéder en voiture, je m’étais promis de m’y rendre, alors que ma dernière visite remontait à la Zerda de 1954.
Au plan topographique, le village suit un chemin de crête parfaitement dessiné en forme d’Y reliant les trois cols d’accès.
De l’Est, « Thizi Nath Ouamara » permet d’accéder au village par la côte des Ath Ammour.
Du Nord, qui constitue la partie moderne, urbanisée du village, « Thizi N’t’ Qerravth » (le col d’approche) permet d’accéder au village par la Zaouia Ammaria de Mrabet Mohamed et Thaqavouchth (le dépotoir) n’Ath Dahmane, qui fait le lien avec le noyau du village, Thighilt n’l’djamâa (la colline de la mosquée) où se trouvait le lieu de culte et d’enseignement aujourd’hui détruit, créé par mon ancêtre, Sidi Salem ou Makhlouf, reconnu comme fondateur du village. Son ermitage « Thakhamth n’Sidi Salem » été affecté par le conseil de famille à feu mon cousin Salem et la maison ancestrale dont il ne reste aujourd’hui que l’entrée et la chambre de mon grand-oncle Kaci Oulhadj, frère de mon grand-père paternel. Il est indiscutable qu’il s’agit là de la plus ancienne maison de Tassaft.
Du Sud, par le pied de l’Y, Thizi Bouchfoun permet d’accéder au village par un raidillon menant à l’Aqerrou ou Guerfiw (tête du corbeau) et ensuite à Sidi Ali Bounab et Adhroum Nath Hammoudha.
Selon les témoignages de mon grand-père AH Ibrahim, de ses frères AH Kaci Oulhadj et AH Mouh ath el Hadj dit Aazzoug, de ma mère el Hadja AH Yamina n’Ouali et de mon oncle maternel AH Hadj Abdelkader n’Ouali, Sidi Salem ou Makhlouf, mon lointain ancêtre, prédicateur itinérant, s’est établi sur ce site, inhabité, inoccupé et a fondé Tassaft.
Après la construction, au point culminant du nouveau centre de vie, appelé aujourd’hui encore Thighilt n’l’Djamâa, de sa maison, de la mosquée, de la salle de cours (Tha mâamarth) attenante et de son oratoire, il semble, et grâces soient rendues à mon parent Salem OUAHIOUNE qui m’a permis, à la lecture de son blog sur Internet et le parcours de sa famille, de mettre en place les dernières pièces du puzzle, que Sidi Salem, ou un de ses descendants, soit reparti vers le massif de Sidi Ali Bounab en vue de ramener une population pour le nouveau centre de vie.
Le choix des "Ouahioune" ne fut pas fortuit en raison de l’existence d’alliances familiales avant leur établissement à Tassaft. Pour preuve, des liens, antérieurs à 1850 existaient entre cette famille et la mienne devenue, à travers les âges et les éponymes Ath-Sidi-Salem, puis Ath-Antar et enfin Ath l’Hadj-Aâmer, nom actuel de notre branche dont une partie a fondé Agouni-Ahmed des Ath Yanni. Ces membres de ma famille portent encore leurs patronymes de Tassaft (Ath-l’Hadj "MOKDAD"), (Ath-Youcef "MEGHALET"), ("Ath-Oumghar" MEDDAD et MEDDANE"), (Ath Amer "METREF et MEZANI"), tous liés, à ce jour à la branche aînée, les ATH EL HADJ de Tassaft.
La dispersion de la famille date du second tiers du XIXe siècle, période au cours de laquelle, en raison d’un conflit de voisinage avec certains membres d’Adhroum Nath Hammoudha les Ath -El - Hadj Aâmer furent contraints à l’exil. Mon arrière grand-père, Saïd-Oulhadj et ses enfants allèrent vers les Ath Ouacif (village de Bou Abderrahmane) où mon grand-père Ibrahim a grandi et le reste vers les Ath Yanni où ils fondèrent le hameau d’Agouni Ahmed, à quelques centaines de mètres de Taourirt Mimoun.
La légende veut que le départ des Ath El Hadj eut pour conséquence une période de malheurs qui se serait abattue sur les Ath Hammoudha en raison de la malédiction lancée à leur encontre. Faisant amende honorable, des émissaires conduits par Ouali n’Mohand ou Ramdhane (mon grand-père maternel) ont été envoyés vers Bou Abderrahmane, en vue de solliciter leur pardon et les prier de réintégrer le village.
Après l’acceptation de Saïd Oulhadj et le pardon accordé, un villageois de Bou Abderrahmane, aurait houspillé le patriarche (mon arrière grand-père), trouvant qu’il ne libérait pas assez vite les lieux. Prenant à témoin l’assistance, il aurait dit que plus jamais cette demeure ne serait habitée et qu’il y pousserait du chiendent (ad yemmghi dhegs waffar). A ce jour, la maison existe toujours à l’état de ruine et nul n’y habite.
La délégation des Ath Hammoudha, accompagnée de Saïd Oulhadj s’est déplacée vers Agouni Ahmed en vue de ramener le reste de la famille vers Tassaft. Il leur a été répondu que le pardon leur était accordé, mais qu’ils préféraient rester chez les Ath Yanni qui les avaient accueillis avec respect et que le lien de confiance qui les liait aux Ath Hammoudha avait été rompu par ceux-là même qui avaient oublié la dette de leurs ancêtres vis-à-vis de l’Hadj Aamer qui les avait accueillis et mis sous sa protection durant leur fuite devant les soldats du roi de Koukou Amer Oul Quadhi (Amer BELQADI mort en 1618).
Concernant Adhroum nath Hammoudha il est certain que les ancêtres Ahmed et Ali, derniers fuyards pérégrins après une halte à Aourir ou Zemmour et l’installation d’une partie de la famille à Ath Hamsi dans le lit de l’assif El-Djemâa, pour avoir participé à la révolte des tribus parrainée par Sidi Mansour, Sidi Abderrahmane N’ath Smaïl, Sidi Ahmed ou Malek (ancêtre de M. Redha MALEK) et Sidi Ahmed Oudris, et qui, n’ayant trouvé refuge nulle part entre les Ath Ghobri d’où il sont issus en raison de la peur des villageois de déplaire au despote de Koukou et d’encourir ses représailles, ont fini par être accueillis par l’Hadj Aamer qui les a mis sous la protection de Sidi Salem et les a autorisés à s’établir en mitoyens de sa propre demeure. Il reste de la maison originelle des Ath Hammoudha l’asseqif (ahanou) d’entrée et la petite chambre d’hôte qui le coiffe.
Au XVIe siècle, Sidi Ahmed ou el Qadhi, alors gouverneur de la province de Annaba du royaume Hafside, reviendra chez lui pour unir les Kabyles contre les Espagnols. Originaire de Aourir, village des Ath Ghobri, son retour sera accueilli de manière triomphale attirant aussi la sympathie des tribus voisines. Sidi Ahmed ou el Qadhi élira domicile sur le piton de Koukou, fortement soutenu par les Ath Khellili, Ath Bou Chaïeb, Ath Itsoura, Ath Yahia, Ath Idjer et bien sur les Ath Ghobri. Cela marque la naissance du royaume (taguelda) des Seigneurs de Koukou. Profitant de l’attaque par la mer des frères Barberousse, Aroudj et Kheireddin, il libérera Béjaïa de l’occupant Espagnol. Puis il infligera une lourde défaite au cheikh des Ath Abbas, prince de la Guelâa, en guise de châtiment pour avoir aidé les Espagnols contre les Kabyles. Enfin, trahi par les turcs, il chassera Kheireddin d’Alger où il régnera de 1520 à 1527. Son règne s’achèvera un soir où il sera assassiné par un mercenaire à la solde de Kheireddin. A la mort de leur chef, les Kabyles en déroute quitteront Alger pour se réfugier chez eux. Sidi el Haoussin ou el Qadhi, le frère de Sidi Ahmed ou el Qadhi, sera reconnu Roi de Koukou en 1529 et reprendra le commandement de l’armée Kabyle pour organiser la défense contre les Turcs.
Au fil des années le règne des Seigneurs de Koukou prendra une tournure despotique où les hommes des six tribus précédemment citées seront obligés de servir dans l’armée des Seigneurs de Koukou soumettant les tribus plus au Nord à différents impôts, racket et autres injustices. Certains historiens rapportent même que le cheptel des Seigneurs de Koukou allait brouter de l’autre côté de l’Oued Sebaou, sur le territoire des Ath Fraoussen et des Ath Iraten, sans que cette importante confédération ne proteste de peur de déclencher une guerre.
Les Kabyles ne supportant plus l’exercice tyrannique du pouvoir par les Bel Qadhi, cherchaient depuis plusieurs années l’occasion d’en finir avec cette période de Régime de type féodal des Seigneurs de Koukou. Au XVIIe siècle, quatre saints, se rencontrent en ermitage à Tizi-Berth. A la suite de leur pèlerinage les quatre Marabouts décident de venir en aide aux tribus opprimées. C’est ainsi que Sidi Mansour rejoindra les Ath Djennad, Sidi Ahmed Ou Malek s’installera chez les Ath Ghobri et les Ath Idjer, Sidi Abd Errahman chez les Ath Itsoura et les Illoulen et enfin Sidi Ahmed Ou Dris ne cessera de voyager entre la région d'Azazga et celle des Illoulen. C’est Sidi Mansour qui sera le personnage moteur du soulèvement des Kabyles. Faisant prendre conscience de leur force et de leur nombre aux Ath Djennad, il constituera une formidable unité. Rapidement, les confédérations voisines des Ath Ouguenoun et des Iflissen Lebhar s’uniront avec les Ath Djennad pour former une puissante "confédération élargie" qui combattra sans relâche les Seigneurs de Koukou, alors dirigés par Amar ou el Qadhi. En 1618, Amar ou el Qadhi meurt mais il faudra attendre la fin du XVIIe siècle pour signer la fin du royaume des Seigneurs de Koukou avec notamment une liberté totale et retrouvée chez les Ath Djennad, Ath Ghobri et Ath Idjer. (Source Internet)
Entre-temps, la population du village s’est étoffée avec l’arrivée, fruit des diverses alliances et des mouvements de population, de plusieurs familles dont je cite, de mémoire les noms d’état-civil qui, le plus souvent, correspondent aux noms vernaculaires :
AÏT HAMOUDA, OULD HAMOUDA, AÏT MOHAND, AÏT MOULOUD, AÏT OUAHIOUNE, AÏT SLIMANE, AMMOUR, BACHA, BENAMER, BOUABDELLAH, GAHLOUZ, MESSAOUDI, OUAHIOUNE, OUARES, YOUSFI, ZEGGANE.
A travers les années, particulièrement dès la fin du XIXe siècle le village a donné naissance à de nombreux intellectuels, et ce en raison de l’existence de l’école indigène qui date de 1881. C’est ainsi que, de Tassaft, est issu l’un plus anciens avocats algériens Me Arab OUAHIOUNE, cousin germain de mon grand-père Ibrahim N’ATH EL HADJ, bâtonnier de l’ordre durant les années cinquante et Président de la Cour de Constantine dès sa création et jusqu’à sa retraite dans la deuxième moitié des ann ées 60,
Avec lui, son frère Mohand-Améziane, produit de l’École Normale de Bouzaréah, fut un enseignant hors norme, un merveilleux conteur. Je lui dois le peu que je sais et mon amour immodéré de la lecture et de l’écriture. Le plus tragique est qu’il fut assassiné après l’indépendance pour d’obscurs motifs, jamais prouvés, et qu’il ne dispose même pas d’une sépulture,
La génération qui a suivi, celle des années 20, a vu l’émergence des premiers enseignants dont Amer OUAHIOUNE, fils du précédent, décédé il y a peu et dont j’ai eu la chance d’avoir été l’élève. Il faut y ajouter feu Ouali AÏT HAMOUDA, décédé au cours de l’été 2010, à la carrière exemplaire et dont le souvenir demeure vivace aux Ouadhias, Ath Ali ou Harzoun, Ighil Bwammas et surtout Ech-Chéliff et son beau-frère Chabane OUAHIOUNE fils de Mohand-Améziane, avocat, enseignant, écrivain à succès et billettiste estimé. Je n’oublierai pas non plus Mohand AÏT HAMOUDA, instituteur tombé au front en 1945 en Alsace dans une guerre qui n’était pas la sienne. Il repose au cimetière militaire de Cernay, tombe N°196.
Je mentionne, pour mémoire, le grand penseur Mohammed ARKOUN de Taourirt Mimoun des Ath Yanni, disparu en 2011, dont la grand’mère AÏT HAMOUDA Zoubida Nath El Hadj était la sœur de mon grand-père Ibrahim.
Au-delà de ces intellectuels, deux personnages ont brillé d’un éclat particulier par leur engagement dans le combat anticolonialiste pour l’indépendance, leurs actions et leurs parcours qui font qu’ils sont ancrés dans la mémoire collective de la nation.
Ammar OULD HAMOUDA, contemporain de la génération des années 20, lycéen engagé dans le combat politique dans les rangs du PPA-MTLD, dont il fut membre du Comité Central, militant de la cause amazighe, premier responsable de l’O.S en Kabylie au moment où, au plan national, elle était dirigée par Hocine AÏT AHMED. Destiné à jouer un rôle de premier plan, il finit assassiné en 1955, sur ordre de Belkacem KRIM après un simulacre de procès conduit par Amar AÏT CHIKH.
Grâce à l’action des Associations Culturelles issues du mouvement amazigh il a été réhabilité au milieu des années 80.
Amirouche AÏT HAMOUDA dont la place, dans l’Histoire de la Nation est certainement celle du héros absolu, combattant infatigable et intransigeant meneur d’hommes. Ses compagnons de combat en parlent avec une admiration sans borne, louant son courage physique, sa perspicacité politique et une vision désenchantée de l’indépendance nationale. Bien des ouvrages lui ont été consacrés dont aucun n’est exempt de critique tant le symbole qu’il représente et les mythes qui lui sont associés ont été instrumentalisés par les uns et les autres à des fins plus que discutables.
A titre personnel, ayant eu le privilège de le connaître alors que j’étais enfant, de côtoyer, à Tassaft, son frère aîné, Dhadda Boussâad né en 1923 décédé en 2014, à Relizane, nombre de ses compagnons de la période PPA-MTLD puis OS tels Benattia OUADAH dit Ounès, Abdelkader ADDA dit Kadri, Slimane BELAROUSSI dit Zizat et Djilali DEBDEB dit Qamira, mais aussi, à Alger, ses adjoints les plus prestigieux, membres de son état-major, les Commandants Ali AZZI, Ahmed FEDDAL dit H’mimi, Lamara HAMEL, Ahcène MAHIOUZ, Mohand Ouali SLIMANI dit Chéri-Bibi, dont j’ai été le collègue et l’ami dans le cadre du Département de Contrôle du Parti du FLN. Je ne désespère pas d’écrire une biographie dont je m’efforcerai qu’elle soit la plus objective possible et dépourvue de tout parti-pris.
Beaucoup d’ouvrages ont été publiés, à charge pour ceux émanant de l’ancienne puissance coloniale et de ses sbires, parfois même d’acteurs, réels ou prétendus tels Kefi ou Benachenhou, toujours à décharge s’agissant de ses compagnons, tels Hamou Amirouche ou Attoumi et totalement fantaisiste tel celui de Sadi dont le seul objectif fut de servir ses ambitions pour se maintenir à la tête du micro mouvement politique dont il ne fut même pas l’initiateur.
Dans le cadre de la résistance à l’occupation française, je ne peux omettre de rappeler que OULD HAMOUDA Saïd l’aîné, grand-père maternel de ma mère Hadja Yamina n’Ouali, est tombé au champ d’honneur en 1857 lors de la bataille d’Icherridhen qui opposait la résistance aux troupes du Maréchal Randon et que même les femmes de la famille avaient été mobilisées pour assurer l’intendance et la fabrication de la poudre.
Plus proche de nous, après que la France, en 1915, sur proposition du bachaga Ath MEHDI, caïd du douar Ouacif, ait décrété la conscription des Kabyles qui, jusque là étaient dispensés du service militaire, la réunion des notables du douar ayant prononcé sa condamnation à mort, son exécution vit la participation de mon oncle Toudert dit Rabah n’Ouali qui ne dut de ne pas être déporté en Guyane qu’à son rachat moyennant finances.
Entre 1945 et 1954, dans le cadre de la préparation de la lutte une section de SMA fut créée par AÏT HAMOUDA Ahcène n’Abdelkader et son cousin Ouahioune Ali dit Ali Amechtouh, futur cadre syndical à l’échelle nationale. Le premier Commissaire en fut Dhadda Hsissi qui porta longtemps le surnom de « Comissar ».
Au déclenchement de la lutte armée après qu’Amirouche ait pris le maquis dans la nuit du 01 Novembre, il ne tarda pas à recruter ses propres cousins et les premiers à le rejoindre furent AH Kaci fils de khali Faradj, AÏT HAMOUDA Djaffar fils de Khali Rabah, OULD HAMOUDA Idir n’Salem puis le groupe des Ath Erbah duquel émergèrent Mohand Ou Idir ALI-MOHAMMED, Mohand Ouamer n’Ath Messaoud, et ANTITEN Youcef dernier survivant décédé en 2011.
L’ALN accueillit, plus tard, OULD HAMOUDA Saïd n’Boukhalfa, de Ramdane AÏT SLIMANE, Mohand Saïd AÏT OUAHIOUNE (fils d’Aziza n’ath Graïche) tous chouhadas.
Plus tard, après que l’opération Jumelles ait causé des pertes sévères à la wilaya, l’ALN mobilisa les femmes pour assurer la survie des djounouds, particulièrement les blessés soignés dans l’infirmerie de campagne de la propriété de mon père connue sous le nom d’Ighzer n’Ali Ouamer sous la conduite du Lieutenant Rachid (Chahid) avec la participation de Youcef ANTITEN et Mohand Ouamer N’ATH MESSAOUD des Aït Erbah.
Parmi ces femmes il convient de citer, en plus de ma mère, Aït Hamouda Hadja Yamina n’Ouali, Ait-Hamouda Fatima n’Ahmed Amirouche (chahida), ma tante Ait-Hamouda Yamna n’Ouali, sa cousine Ould-Hamouda Tourkia n’Salem ainsi que les hommes Ould-Hamouda Lakhdar n’Bélaïd n’lHadj Akli, Ould Hamouda Bélaïd n’Mohand ou Ramdane, Ait-Hamouda Hadj Lounis, Ait-Hamouda Rabah n’Ouali qui payèrent, qui de sa vie, qui de sa liberté leur implication dans la lutte.
Hors Tassaft, il convient de signaler qu’à partir de Saint-Arnaud (El-Eulma) AIT HAMOUDA Mouloud n’Ferhat a rejoint les rangs de la Wilaya 2 et qu’il a fini aspirant de l’ALN et infirmier de campagne. Après l’indépendance, il a géré jusqu’à sa mort la pharmacie PCA des Ouacifs.
A Alger, OULD HAMOUDA Ammar n’Boukhalfa n’Hsaïne, son frère Mohammed, Salah n’Ouali n’Lhadj Akli ont milité dès 1955. Ils ont été rejoints vers 1960 par AIT HAMOUDA Ahcène n’Mohand Arab nat Tmazirth tombé avec ses compagnons de combat sous les balles de l’OAS à la Cité Sellier d’Hydra et Ould Hamouda Kaci n’Aomar assassiné au Champ de Manœuvres.
Relativement aux membres de la famille installés dans la plaine du Chéliff, AIT HAMOUDA Salem n’Rabah n’Ouali a été assassiné par les troupes d’occupation, son frère AIT HAMOUDA Belhadj a été arrêté, jugé et condamné à 20 ans de travaux forcés. Il a été libéré en Juin 1962 de la prison d’Ech Cheliff et coule une retraite paisible à Oued Fodda.
Les autres cousins et oncles d’Oued Fodda, El Karimia et Ech Cheliff, tous impliqués dans les rangs de la résistance n’ont pas échappé à la torture et aux camps de concentration dans lesquels ils ont été détenus. Mon propre père a apporté une contribution financière conséquente attestée par les reçus délivrés par l’ALN à partir de 1956.
Un cas particulier est celui de OULD HAMOUDA Rabah n’Bélaïd n’Lmouloud brillant élève de Terminale Sciences au Collège Moderne de Constantine qui, après l’appel de l’UGEMA du 19 Mai 1956, rejoignit l’ALN à Oujda où il fut élève de l’École des Cadres de l’ALN dirigée par Bélaïd ABDESLAM. Je rends un hommage déférent à l’homme qui a refusé d’exciper de sa qualité de moudjahid pour aller dans l’enseignement. Il est mort dans le dénuement à El Karimia (Ex Lamartine) à la fin des années 80. Paix à son âme.
Des expatriés émigrés en France, OULD HAMOUDA Mouloud n’Ali n’Lmouloud, Mouloud n’Hammiche nath El Hadj et Ahmed n’Chabane nath el Hadj ont milité jusqu’à l’indépendance à l’exception du dernier interné en France, au camp du Larzac de sinistre mémoire de 1960 jusqu’à l’indépendance.
Une pensée particulière est due aux victimes collatérales décédées au cours de cette période. Youcef YOUSFI, AIT HAMOUDA Hocine n’Lamara et OULD HAMOUDA Ahmed sont morts de mort violente sans que nul ne puisse expliquer pourquoi. Auraient-ils été au mauvais endroit, au mauvais moment ?
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Notes
Note 1: J’ai questionné le Commandant Hmimi (Ahmed FEDDAL) héros de légende de la Wilaya 3 sur la façon dont les combattants avaient vécu JUMELLES, la plus vaste opération de ratissage que l’armée coloniale ait organisé durant la lutte de libération. Avec son sens aigu du raccourci, il m’a dit ceci « Au commencement de l’opération la wilaya comptait 13.000 Djounoud et moussebline structurés. Lorsqu’elle prit fin nous n’étions plus que 5.000. Nous avons perdu 8.000 hommes ». Cet homme, qui appartient à l’Histoire, et qu’on ne peut soupçonner de lâcheté m’a dit « Si l’armée coloniale avait poursuivi son ratissage durant une quinzaine je pense que nous serions sortis de nos caches avec les mains sur la tête en raison du manque de munitions mais aussi et surtout de la faim qui nous taraudait. Compte tenu de la présence continue la nuit des tirs de fusées éclairantes et le jour, des avions mouchards T6 et des hélicoptères Sikorsky (banane) capables, pour les premiers de nous arroser avec leurs mitrailleuses d’ailes, de déverser du naplam sur les zones où nous nous trouvions et pour les seconds, de déposer près des casemates les commandos de paras et les légionnaires, nous nous sommes trouvés quasi immobilisés et contraints de nous contenter, pour toute nourriture, d’erbes, de racines et de glands. Je reste convaincu que les survivants sont des miraculés. »
Note 2 : Alors que je l’asticotais sur Si Amirouche, le commandant Slimani Mohand-Ouali dit « Chéri Bibi » pour sa corpulence m’a confié quelques anecdotes sur les extraordinaires qualités de son chef.
– Au cours d’une réunion de l’État-Major de la Wilaya, en réponse à Si Moh Ouali qui lui disait que l’indépendance étant un fait inéluctable, il pensait au rôle important qui écherrait au Colonel. Ce à quoi Si Amirouche répondit « Fasse Dieu que je ne voie pas se lever le soleil de l’indépendance et que je meure chahid. Car, savez-vous, à ce moment nous nous entretuerons »
– Au cours d’un déplacement dans une unité, accompagné d’un de ses adjoints réputé pour sa gourmandise et qui avait commandé qu’on lui prépare une poule pour son repas, le colonel exigea qu’elle soit servie aux djounoud de l’escorte, au grand dam de son adjoint.
Note 3 : Djilali DEBDEB m’a raconté l’anecdote suivante
– Mandaté par le CNRA, alors qu’il était Commandant, après la disparition de Si Mostefa Ben Boulaïd, et cela dans le cadre de la recherche d’une solution à la crise interne de la Wilaya 1, il aperçut des djounoud ligotés dans une casemate et crut reconnaître un des prisonniers. Il s’agissait effectivement de Djilali DEBDEB dont il avait été le chef lorsqu’il dirigeait l’OS à Relizane. S’étant enquis de la raison de leur détention il lui a été répondu que ces djounoud faisaient partie des commandos de la wilaya dirigés par le Commanant ADJEL ADJOUL qui s’était rendu aux forces coloniales et qu’ils allaient être jugés pour trahison. Il ordonna leur libération immédiate et leur réhabilitation. Certains sont tombés au champ d’honneur, d’autres ont survécu. Quant à Djilali DEBDEB il le ramena en wilaya 3 puis l’autorisa quelques mois plus tard à rejoindre la wilaya 5. Il est décédé en 2013 à Relizane.
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Source: Larbi Aït Hammouda, Relizane, septembre 2012.