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16/07/2017

Tassaft entre légende et histoire.

larviiiiiiiiiii.jpgAussi loin que remonte ma mémoire, elle me ramène toujours au sommet d’une colline, un lieu cher à mon cœur, là où je suis né. Ce lieu, dont l’histoire remonte aux temps anciens, est un petit village kabyle, perché sur une crête, à un jet de pierre de la « Main du Juif » (thalettat), à mi-distance des Ath Ouacif, Ath Boudrar et Ath Yanni.

Du cimetière familial de Sidi Ali Bounab, une vue à 360 degrés permet d’admirer :

- au nord le regard embrasse Ath Ervah, Ath Yanni et au second plan les contreforts des Ath Yirathen.

- à l’ouest, se trouvent les groupes de villages des Ath Ouacif, Ath Bouakkach, At Sedqa, Ath Chebla et Thahachat et à l’horizon Azaghar, plaine menant à la zaouïa de Sidi Ali Ou Moussa et plus loin aux Ouadhias et Boghni.

- au sud les ath boudrar sont adossés au djurdjura

- à l’est, une fois franchi l’assif El Djemâa se trouvent les Ath Menguelleth, I Attafen, Aqbil. Sur une crête intermédiaire Ighil Bwammas fait la liaison avec les Ath Boudhrar dominés par le Djurdjura.

Son nom « Thassafth Ou Guemmoun » (le chêne du mamelon) est dû à l’arbre multicentenaire, accolé à un micocoulier (Iviqqes) censé symboliser le Saint patron du lieu « Sidi Ali Bounab » qui, aujourd’hui est le cimetière de ma famille. Cette dénomination revêt une importance particulière car il s’agit de l’importation et de l’hommage rendu au saint de la région d’origine du fondateur du village.

Au plan topographique, le village suit un chemin de crête parfaitement dessiné en forme d’Y reliant les trois cols d’accès :

  • A l’Est, « Thizi Nath Ouamara » permet d’accéder au village par la côte des Ath Ammour.
  • Au Nord, qui constitue aujourd’hui la partie moderne, urbanisée du village, « Thizi Net Qerravth » (le col d’approche) permet d’accéder au village par la Zaouia Ammaria de Mrabet Mohamed et Thaqavouchth (le dépotoir) n’Ath Dahmane, qui fait le lien avec le noyau du village, Thighilt n’l'djamâa (la colline de la mosquée) où se trouvait le lieu de culte et d’enseignement; aujourd’hui détruit, créé par mon ancêtre, Sidi Salem ou Makhlouf, reconnu comme fondateur du village. Son ermitage « Thakhamth n’Sidi Salem » été affecté par le conseil de famille à feu mon cousin Salem et la maison ancestrale dont il ne reste aujourd’hui que l’entrée et la chambre de mon grand-oncle Kaci Oulhadj, frère de mon grand-père paternel. Il est indiscutable qu’il s’agit là de la plus ancienne maison de Tassaft.
  • Au Sud, par le pied de l’Y, Thizi Bouchfoun permet d’accéder au village par un raidillon menant à l’Aqerrou ou Guerfiw (tête du corbeau) et ensuite à Sidi Ali Bounab et Adhroum Nath Hammoudha.

Selon les témoignages recueillis auprès de mon grand-père Ibrahim, de ses frères Kaci Oulhadj et Mouh ath el Hadh dit Aazzoug, de ma mère El Hadja Yamina N’Ouali et de mon oncle maternel Hadj Abdelkader N’Ouali, « Sidi Salem ou Makhlouf », prédicateur itinérant, s’est établi sur ce site, inhabité, inoccupé et a fondé ce qui est devenu Tassaft.

Après la construction, au point culminant du nouveau centre de vie, de sa maison, de la mosquée, de la salle de cours (tha mâamarth) et de son oratoire, il semble, (et grâces soient rendues à mon parent Salem Ouahioune qui m’a permis, à la lecture de son blog sur Internet et le parcours de sa famille, de mettre en place les dernières pièces du puzzle), que Sidi Salem, ou un de ses descendants, soit reparti vers le massif de Sidi Ali Bounab en vue de ramener une population pour le nouveau centre de vie.

Il est probable que le choix des Ouahioune n’était pas fortuit et que des relations d’alliances familiales devaient probablement exister avant leur établissement à Tassaft.

Je n’en veux pour preuve que les liens, antérieurs à 1850, existant entre cette famille et la mienne devenue, à travers les âges et les éponymes Ath Sidi Salem, puis Ath Antar et enfin Ath l’Hadj Aâmer, nom actuel de notre branche dont une partie a fondé Agouni Ahmed des Ath Yanni. Les membres portent encore leurs patronymes de Tassaft (Ath el Hadj « Mokdad »), (Ath Youcef « Meghalet » ), (Ath Oumghar « Meddad et Meddane »), (Ath Amer « Metref et Mezani »), tous liés, à ce jour à la branche aînée, les Ath el Hadj de Tassaft.

Il convient de rappeler que jusqu’à sa mort, mon grand-père paternel Ibrahim, en sa qualité de descendant direct, organisait avec l’aide de Mohand Ouali nath Youcef (Meghalet) la zerda de Sidi Salem qui se tenait chaque année, en bordure de l’Assif el Djemâa et regroupait les populations de Tassaft, des Aït Eurbah et d’Agouni-Ahmed. Un taureau y était sacrifié sur l’aire à battre, censée représenter un des sanctuaires du saint.

La dispersion de la famille date du second tiers du XIXe siècle, période au cours de laquelle, en raison d’un conflit de voisinage avec certains membres d’Adhroum nath Hammoudha les Ath el Hadj Aâmer furent contraints à l’exil. Mon arrière grand-père, Saïd Oulhadj et ses enfants, allèrent vers les Ath Ouacif (village de Bou Abderrahmane) où mon grand-père Ibrahim a grandi et le reste vers les Ath Yanni où ils fondèrent le hameau d’Agouni Ahmed, à quelques centaines de mètres de Taourirt Mimoun.

La légende veut que le départ des Ath el Hadj eût pour conséquence une période de malheurs qui se serait abattue sur les Ath Hammoudha en raison de la malédiction lancée à leur encontre. Faisant amende honorable, des émissaires conduits par Ouali N’Mohand Ou Ramdhane (mon grand-père maternel) ont été envoyés vers Bou Abderrahmane, en vue de solliciter leur pardon et les prier de réintégrer le village.

Après l’acceptation de Saïd Oulhadj et le pardon accordé, il s’est dit qu’un villageois de Bou Abderrahmane, aurait quelque peu houspillé le patriarche (mon arrière grand-père), trouvant qu’il ne libérait pas assez vite les lieux. Prenant à témoin l’assistance, il aurait dit que plus jamais cette demeure ne serait habitée et qu’il y pousserait du chiendent (ad yemmghi dhegs waffar). A ce jour, la maison existe toujours à l’état de ruine et nul n’y habite.

La délégation des Ath Hammoudha, accompagnée de Saïd Oulhadj s’est ensuite déplacée vers Agouni Ahmed en vue de ramener le reste de la famille vers Tassaft. Il leur a été répondu que le pardon leur était accordé, mais qu’ils préféraient rester chez les Ath Yanni qui les avaient accueillis avec respect et que le lien de confiance qui les liait aux Ath Hammoudha avait été rompu par ceux-là même qui avaient oublié la dette de leurs ancêtres vis-à-vis de l’Hadj Aamer qui les avait accueillis et mis sous sa protection durant leur fuite devant les soldats du roi de Koukou Amer Oul Qadhi (Amer BelQadi mort en 1618).

Concernant Adhroum N’Ath Hammoudha, il est certain que les ancêtres Ahmed et Ali, derniers fuyards pérégrins après installation d’une partie de la famille à Ath Hamsi dans le lit de l’assif El-Djemâa, pour avoir participé à la révolte des tribus parrainée par Sidi Mansour, Sidi Abderrahmane N’ath Smaïl, Sidi Ahmed ou Malek (ancêtre de M. Redha Malek) et Sidi Ahmed Oudris, et qui, n’ayant trouvé refuge nulle part entre Ath Ghobri d’où il sont issus, en raison de la peur des villageois de déplaire au despote de Koukou et d’encourir ses représailles, ont fini par être accueillis par l’Hadj Aamer qui les a mis sous la protection de Sidi Salem et les a autorisés à s’établir en mitoyens de sa propre demeure. Il reste de la maison originelle des Ath Hammoudha est composée d’asseqif (ahanou) d’entrée et la petite chambre d’hôte qui le coiffe.

Au XVIe siècle, Sidi Ahmed ou el Qadhi, alors gouverneur de la province de Annaba du royaume Hafside, reviendra chez lui pour unir les Kabyles contre les Espagnols. Originaire d’Aoufir, village des Aït Ghobri, son retour sera accueilli de manière triomphale attirant aussi la sympathie des tribus voisines. Sidi Ahmed ou el Qadhi élira domicile sur le piton de Koukou, fortement soutenu par les Aït Khellili, Aït Bou Chaïeb, Aït Itsoura, Aït Yahia, Aït Idjer et bien sur les Aït Ghobri. Cela marque la naissance du royaume (taguelda) des Seigneurs de Koukou. Profitant de l’attaque par la mer des frères Barberousse, Aroudj et Kheireddin, il libérera Béjaïa de l’occupant Espagnol. Puis il infligera une lourde défaite au cheikh des Aït Abbas, prince de la Guelâa, en guise de châtiment pour avoir aidé les Espagnols contre les Kabyles. Enfin, trahi par les turcs, il chassera Kheireddin d’Alger où il régnera de 1520 à 1527. Son règne s’achèvera un soir où il sera assassiné par un mercenaire à la solde de Kheireddin. A la mort de leur chef, les Kabyles en déroute quitteront Alger pour se réfugier chez eux. Sidi el Haoussin ou el Qadhi, le frère de Sidi Ahmed ou el Qadhi, sera reconnu Roi de Koukou en 1529 et reprendra le commandement de l’armée Kabyle pour organiser la défense contre les Turcs.

Au fil des années le règne des Seigneurs de Koukou prendra une tournure despotique où les hommes des six tribus précédemment citées seront obligés de servir dans l’armée des Seigneurs de Koukou soumettant les tribus plus au Nord à différents impôts, racket et autres injustices. Certains historiens rapportent même que le cheptel des Seigneurs de Koukou allaient brouter de l’autre côté du Oued Sebaou, sur le territoire des Aït Fraoussen et des Aït Iraten, sans que cette importante confédération ne proteste de peur de déclencher une guerre.

Les Kabyles ne supportant plus l’exercice tyrannique du pouvoir par les Bel Qadhi, cherchaient depuis plusieurs années l’occasion d’en finir avec cette période de Régime de type féodal des Seigneurs de Koukou. Au XVIIe siècle, quatre saints, se rencontrent en ermitage à Tizi-Berth. A la suite de leur pèlerinage les quatre Marabouts décident de venir en aide aux tribus opprimées. C’est ainsi que Sidi Mansour rejoindra les Aït Djennad, Sidi Ahmed Ou Malek s’installera chez les Aït Ghobri et les Aït Idjer, Sidi Abd Errahman chez les Aït Itsoura et les Illoulen et enfin Sidi Ahmed Ou Dris ne cessera de voyager entre la région d’Azazga et celle des Illoulen. C’est Sidi Mansour qui sera le personnage moteur du soulèvement des Kabyles. Faisant prendre conscience de leur force et de leur nombre aux Aït Djennad, il constituera une formidable unité. Rapidement, les confédérations voisines des Aït Ouguenoun et des Iflissen Lebhar s’uniront avec les Aït Djennad pour former une puissante « confédération élargie » qui combattra sans relâche les Seigneurs de Koukou, alors dirigés par Amar ou el Qadhi. En 1618, Amar ou el Qadhi meurt mais il faudra attendre la fin du XVIIe siècle pour signer la fin du royaume des Seigneurs de Koukou avec notamment une liberté totale et retrouvée chez les Aït Djennad, Aït Ghobri et Aït Idjer. (Source Internet)

Entre-temps, la population du village s’est étoffée avec l’arrivée, fruit des diverses alliances et des mouvements de population, de plusieurs familles dont je cite par mémoire les noms d’état-civil qui, souvent, correspondent aux noms vernaculaires :

« Ait-Hamouda, Ould Hamouda, Ait Mohand, Ait Mouloud, Ait Ouahioune, Ait Slimane, Ammour,

Bacha, Benamer, Boubdellah, Gahlouz, Messaoudi, ouahioune, Ouarès, Yousfi, Zeggznz ».

Et que, si des familles ont été omises, elles me pardonnent mon oubli.

A travers les années, particulièrement dès la fin du XIXe  siècle le village a donné naissance à de nombreux intellectuels, et ce, en raison de l’existence de l’école indigène qui date de 1881. C’est ainsi que, de Tassaft, est issu l’un des plus anciens avocats algériens monsieur Arab Ouahioune, cousin germain de mon grand-père Ibrahim N’Ath El Hadj, bâtonnier de l’ordre durant les années cinquante et premier Président de la Cour de Constantine.

Avec lui, son frère Mohand-Améziane, est un enseignant, produit de l’École Normale de Bouzaréah. Je lui dois le peu que je sais et mon amour immodéré de la lecture et de l’écriture.

La génération qui a suivi, celle des années 20, a vu l’émergence des premiers enseignants dont Amer Ouahioune, fils du précédent, décédé il y a peu et que j’ai eu la chance d’en avoir été l’élève. Il faut y ajouter feu Ouali Aït Hamouda, décédé au cours de l’été 2010, à la carrière exemplaire et dont le souvenir demeure vivace à Aït Ali Ou Harzoun, Ighil Bwammas et surtout Ech-Cheliff et son beau-frère Chabane Ouahioune, fils de Mohand-Améziane, avocat, enseignant, écrivain à succès et billettiste estimé. Je n’oublierai pas non plus Mohand Aït Hamouda, instituteur tombé au front en 1941 en Lorraine dans une guerre qui n’était pas la sienne. Il repose au cimetière militaire de Colmar.

Je mentionne, pour mémoire, le grand penseur Mohammed Arkoun de Taourirt Mimoun des Ath Yanni, disparu en 2011, dont la grand’mère Zoubida Aït Hamouda était la sœur de mon grand’père Ibrahim.

Au-delà de ces intellectuels, deux personnages ont brillé d’un éclat particulier par leurs actions et leurs parcours qui font qu’ils sont ancrés dans la mémoire collective de la nation.

Ammar Ould Hamouda, contemporain de la génération des années 20, lycéen engagé dans le combat politique dans les rangs du PPA-MTLD, dont il fut membre du Comité Central, militant de la cause amazighe, premier responsable de l’O.S en Kabylie au moment où, au plan national, elle était dirigée par Hocine Aït Ahmed. Destiné à jouer un rôle de premier plan, il finit assassiné en 1955, sur ordre de Belkacem Krim après un simulacre de procès conduit par Amar Aït Chikh. Grâce à l’action des Associations culturelles issues du mouvement amazigh il a été réhabilité au milieu des années 80. L’association culturelle de Tassaft lui a été dédiée et porte son nom.

Amirouche Aït Hamouda dont la place, dans l’Histoire de la Nation est certainement celle du héros absolu, combattant et meneur d’hommes. Ses compagnons de combat en parlent avec une admiration sans borne, louant son courage physique, sa perspicacité politique et une vision désenchantée de l’indépendance nationale. Bien des ouvrages lui ont été consacrés dont aucun n’est exempt de critique tant le symbole qu’il représente et les mythes qui lui sont associés ont été instrumentalisés par les uns et les autres à des fins plus que discutables.

A titre personnel, ayant eu le privilège de côtoyer à Relizane, nombre de ses compagnons de la période PPA-MTLD puis OS, mais aussi à Alger, ses adjoints les plus prestigieux, membres de son état-major, les Commandants Ali Azzi, Lamara Hamel, Feddal Ahmed dit H’mimi, Ahcène Mahiouz, Slimani Mohand Ouali dit Chéri-Bibi, dont j’ai été le collègue et l’ami dans le cadre du Département de Contrôle du Parti du FLN, je ne désespère pas de rédiger une biographie dépourvue de tout parti-pris.

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Larbi AIT-HAMOUDA, Relizane, mars 2012.