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18/07/2017

Couleurs locales: images de mon village Tassaft

Si l'on survole la Kabylie caméra au poing, et en prenant des vues en plongée, les images reçues devraient être aussi belles que tourmentées. La Kabylie, c'est une suite presque ininterrompue de creux et de pics, de chemins qui montent et qui descendent, de proéminences et d'anfractuosités. C'est un peu l'épiderme vu en gros plan d'un gigantesque dinosaure.

Si le vol se fait de Tizi-Ouzou, vers le Sud, en passant par Takhoukht et Beni-Yeni et en se dirigeant sur le col de Tizi-N'kouilal, on verrait, si l'avion perdait de l'altitude, trois chapelets de villages en forme de colonnes vertébrales : à gauche le "chapelet" des Yatafen, à droite celui des Ait Ouacifs et au centre, Iboudraren.

Si la caméra se concentre sur le "chapelet" du centre et si elle cherche quelque part entre les épines (dorsales dirions-nous) formées par Ait Ali Ouharzoune et Ait Eurvah, elle verrait une autre épine : c'est Tassaft-Ouguemoun.

En rapprochant le plan doucement, comme cela se fait dans certains films, on se rendrait compte que cette "épine" est un agglutinement de maisons plutôt "out" que "in", cachet propre à la plupart des villages kabyles des temps présents. Maintenant si le film est tourné un vendredi, à la veille de l'Aid, et si la caméra fouillait les ruelles sombres du village, elle serait attirée par une modeste "place" enguirlandée… et là, la fiction rejoindrait la réalité puisque ….

Vers 21h 30mn du 21 juin dernier, Tajemaât N'Tassaft est inhabituellement animée, toute la journée, le bruit a couru "qu'il y aura spectacle ce soir". C'est ainsi que dès la nuit tombante, les gens commencent à affluer, les hommes s'asseyant sur les bancs de pierre, ou s'adossant aux murs, les femmes accroupies en demi-cercle devant l'estrade de fortune confectionnée pour la circonstance. Entre les deux, les enfants vont et viennent avec plus ou moins de chahut.

La température est tiède comme peut être un début de soirée d'été. Les cigales se sont tues, mais des "éphémères" tournoient autour des lampes incandescentes. Tout le monde attend le spectacle promis par l'association culturelle "Amar ATH HAMOUDA", association créée en mars 1989 et qui a déjà à son actif plusieurs "shows" culturels dont une bonne exposition sur la révolution jumelée avec une "culturelle", le 29 mars dernier à l'occasion de l'anniversaire de la mort d'AMIROUCHE.

Cela commence par une "musique d'entrée" improvisée par des jeunes de l'association. Ensuite il y eut la troupe folklorique "Tizemarine" qui est aux gens de Tassaft ce qu'est la madeleine" à Marcel Proust, puisque autant que je m'en souvienne, "Tizemarine" (sorte de hautbois maison, fait avec 2 bouts de roseaux troués) ont toujours été de la fête à Tassaft même si l'on a la chance de disposer de deux chanteurs "attirés", ce qui est le cas présentement. Les dernières notes de ce "récital" se perdent dans les informations d'un poème émouvant : "Yemma" écrit et lu par Mr BEDAD Boudjemaa, poème qui a titillé les glandes lacrymales de bon nombre de femmes présentes.

Vient le tour de la chorale composée de fillettes superbement habillées à la traditionnelle et de garçonnets qui exécutent quelques chants légers mais non démunis de charme.

La troupe théâtrale "AGRAW IMAZIGHEN", issue de l'association, profite de l'occasion pour livrer son dernier produit : il s'agit de "TIYITA", pièce écrite et mise en scène par BEDAD Boudjemaa, auteur en même temps du rôle principal et visiblement un des membres les plus actifs de l'association. "TIYITA" est, somme toute, un travail théâtral d'assez bonne facture et qui traite de la situation "socio- politico culturelle du moment, comme le dit M. Ait Mouloud Hmimiche, président de l'association.

Enfin, la soirée plutôt consistance, est relevée par l'apparition des deux chanteurs du "terroir" en l'occurrence BENAMER Arab et OUAHIOUNE Hocine qui, chacun dans son style, égaye la foule, le tout saupoudré de quelques poèmes retentissants de M. AIT MOULOUD Mohammed.

Avant l'aube d'une autre journée, "Tajemaât n'Tassaft" replonge dans l'obscurité des autres ruelles. Mais le temps d'une soirée, le cœur des "Tassaftis", a battu au rythme de "Yemma", "TIYITA", les voix mélodieuses des enfants de la chorale, les sons des mandolines : le temps d'une soirée, les cœurs ont battu à l'unisson. Puissent-ils le faire à l'instar des autres villages d'Algérie aussi longtemps que possible! Je dis bien à l'unisson et non à "l'unicité".

Farid AMMOUR

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Source: Article publié dans le journal "LE PAYS" n°12 du 20 au 26 juillet 1991, aujourd'hui disparu.

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