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07/08/2017

"Thiwizi" ou l'entraide kabyle

Youcef.jpgPour pouvoir mener à bien de grands travaux, moissonner, cueillir et ramasser les fruits, tels que les olives, les kabyles ont inclu dans leurs mœurs une forme d’entraide à laquelle ils ont donné un nom : "Thiwizi". Elle se pratique d’une façon bénévole et sans contrepartie.

Le propriétaire d’une oliveraie, cueille avec ses enfants et sa femme, les olives des petits arbres faciles à grimper et à gauler et réserve pour le jour de Thiwizi, les oliviers imposants et centenaires.

Deux ou trois jours avant, il annonce à la djemâa son intention d’organiser une Tiwizi et précise la date qu’il a préalablement fixée. Ceux des hommes qui ne seront pas disponibles ce jour-là s’excuseront et promettront une aide particulière et individuelle un autre jour qui lui conviendrait. La veille du jour prévu, il fait le porte à porte chez tous les hommes du village pour leur réitérer sa demande.

- Wa Youcef ! akene anahdher dhi thjmayth, azekka tiwizi ghouri, math’stoufadh (Youcef, comme prévu lors de notre rencontre à la djemâa, demain c’est Thiwizi chez moi, si tu n’as rien de prévu)

- Yervah a Ravah , Anidha ? (D’accord, Rabah ! Où)

- Dhi thezgui ouhechadh, dhine imouqrith ath’zemrine (à Tizgui Ouhachadh, c’est là que j’ai de grands oliviers)

- Ihi ar’zekka InchaAllah ! ansaqddha thiqouvach (Alors à demain je vais aiguiser les haches !)

Le lendemain, à l’aube, une grande procession d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux se forme et prend dans la joie et la bonne humeur le chemin vers « arqouv ouzemmour ». Dès l’arrivée à destination, on nettoie le foyer déjà utilisé l’année dernière et on y allume un grand feu qui servira aux hommes à se réchauffer les mains vite engourdies par la gelée matinale et à maintenir le café au chaud.

Lors de la campagne des olives, il règne en Kabylie une ambiance toute particulière, où l’on voit s’élever de partout de longues colonnes de fumée qui témoignent de la présence des Iwiziwene, .Les oliveraies deviennent pour le temps que dure la cueillette, un lieu de partage, de convivialité et d’efforts volontairement consentis. Un lieu plein de vie, où de temps en temps, pour encourager les hommes à donner du cœur à l’ouvrage, on entend un vibrant « Ayiwiziwene khedhmeth Rebbi akniîwene » (oh Volontaires bénévoles travaillez avec l’aide de Dieu ). Le temps des olives c’est aussi celui des étourneaux, des grives et d’autres oiseaux migrateurs qui viennent se gaver d’olives aux grand dam de nos paysans qui tentent désespérément de les effaroucher en criant « ahaï ! ahaï » et en agitant des drapeaux . Les enfants quant à eux, profitent de la manne qui vient du ciel pour poser leurs pièges et attraper de belles et grasses grives dont ils se régaleront le soir à la maison en les grillant sans les vider directement sur la braise du Kanoun).

Le propriétaire répartit ensuite les oliviers entre les participants tout en tenant compte de l’expérience de chacun, un tel est réputé pour son coup de sécateur, un autre pour son coup de hache et connaissant le caractère susceptible et orgueilleux de ses compatriotes, le propriétaire veillera à ne froisser personne.

Et le travail commence.

Pendant toute la journée, les hommes juchés sur des oliviers qui dépassent souvent les cinq mètres de haut gaulent, élaguent les vieilles branches qui gênent et traquent la moindre petite olive. Certains d’entre eux travaillent en chantant le « dikr » ( chant religieux) genre très prisé en Kabylie. Chez nous, à Tassaft Ouguemoune, Da Rabah M’barek et Da Mohand Ouamer el Mouloud (ath nirhem Rebbi) avaient des voix incomparables à vous donner la chair de poule et qui portent très loin. Vers la mi-journée, la femme du propriétaire et une de ses brus arrivent du village les bras chargés. Elles apportent le déjeuner : Seksou s’el hemess et thihvouline dhel qahwa (Couscous aux pois chiches et beignets/café) à profusion. Le propriétaire invite tout le monde à descendre des arbres et à s’approcher. Un cercle au centre duquel on y a déposé le grand plat de couscous est vite formé puis le propriétaire prenant sa cuillère le premier, invite ses convives à manger par un accueillant « Hayya Bismi Allah». Tout en mangeant, les hommes échangent leurs impressions sur la qualité des olives, le climat etc. « Assougas a In Chaallah atili el ghella, oulache attas bougriss, aâqa yerwa ittij » « Anâam,assougas a kerzeghd arqouv agui,thizemrine fersente dhi el waqth. Inchaallah dh’ezzith à netch s’lehna» «Amine à Rebbi»

Revigorés et rassasiés, une volumineuse chique calée avec délectation entre la lèvre supérieure et la gencive, nos rugueux paysans reprennent le travail en grimpant avec panache et fierté aux imposants oliviers dont les branches généreusement lestées de fruits gorgés de jus pendent vers le sol, semblables à des guirlandes étincelantes.

A la fin de la journée, les oliviers aérés par l’élagage des branches inutiles et débarrassés de leurs fruits semblent rajeunis, gage de futures et abondantes récoltes.

Le sol recouvert d’olives d’un noir luisant fait réagir le propriétaire qui crie avec une joie visible « Faites attention où vous mettez les pieds, n’écrasez pas le bien de Dieu (ghourouath El Khir Errebi)». Rayonnant malgré la fatigue, il remercie individuellement tous les participants à sa thiwizi et les invite au dîner traditionnel qu’il a préparé à leur intention (Du couscous aux légumes et viande de bœuf).

Le lendemain une tiwizi féminine est organisée pour le ramassage des olives. De volumineux tas visibles de loin, sont formés à même le sol.

Comme pour les hommes, toutes les femmes disponibles du village sont conviées à participer à cet élan magnifique d’entraide et de convivialité.

Au final, le propriétaire réquisitionnera tous les ânes du village pour transporter sa récolte à l’huilerie du village où quelques jours plus tard, il aura l’immense plaisir de goûter le précieux liquide aux multiples vertus. La qualité de l’huile qu’il jugera sans doute comme chaque année exceptionnelle, sera pour lui la plus belle des récompenses.

N.B.: Thiwizi est une forme d’aide mutuelle. Contrairement à Thachemlith, elle n’est pas obligatoire. Il n’est tout de même pas très recommandé de s’y soustraire.

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Source: "Quelques Us et Coutumes de Kabylie."

Recueil de Youcef AIT-MOHAND

Béjaia, Octobre 2011.

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