18/04/2023
La célébration de la fête d'"Aid-Thamachtouhth"ou "Aid-El-Fitr" dans mon village
"L’Aid-Thamachtouhth" ou "Aid-El-Fitr" marque la fin du Ramadhan et commence la veille par la célébration du jour de "Thaswiqth N’Laïd-Thamachtouhth".
Pour tout l’or du monde, un kabyle digne de ce nom, ne raterait le marché de "Thasouiqth". C’est ainsi que dès l’aube, les hommes, accompagnés de leurs fils en âge de supporter la marche et toutes les pérégrinations à faire, se rendent au marché (Souk) à pied, à dos d’ânes ou de mulets pour les inévitables emplettes de l’Aïd (viande, légumes, etc.). Jusqu’à la mi-journée, le village devient alors le royaume des femmes et des filles (seuls les vieux et les petits garçons sont autorisés à rester au village).
Habillées de leurs belles toilettes aux couleurs chatoyantes et agrémentées de volumineux bijoux en argent massif, les femmes commencent les festivités par la traditionnelle visite au Saint-gardien du village. Chacune d’elles a une prière à formuler. Celle qui n’a que des filles demande un garçon; la célibataire, un prince charmant; la femme mariée, le retour de son émigré de mari; etc. Puis en sortant du sanctuaire, (en marche arrière car il n’est pas convenable de tourner le dos au tombeau du Saint) chaque femme allume une bougie et glisse une petite pièce dans la fente de la petite boite en fer blanc posée à cet effet dans l’une des alcôves de la "Kouba" du Cheikh vénéré.
Les femmes se rassemblent ensuite dans la "Djemaa" la plus vaste du village et se donnent à cœur joie. Elles se libèrent ! Des éclats de rire sonores, des palabres à n’en plus finir, des chants, des danses au rythme du tambourin et ce, jusqu’au retour des hommes du marché.
A la vue du premier d’entre eux qui arrive juché sur son âne, les femmes, semblables à un vol de papillons, se dispersent et rentrent chez elles pour accueillir leurs maris. L’homme, fatigué par toutes ses déambulations à l’intérieur du marché, doit absolument trouver son épouse à la maison. C’est elle qui doit faire le tri de ce qu’il y a dans le "Achwari" et prendre ce qu’elle mettra ce soir dans la marmite, pour le dernier "Ftour" du Ramadhan.
L’homme, quant à lui, se débarrasse de ses habits "spécial souk" se lave et, tel un grand seigneur, va d’un pas nonchalant dans sa chambre pour une longue sieste bien méritée. Il ne se réveillera qu’à l’heure du "Ftour".
Les garçons, tous vêtus de neuf, remplissent les rues du village de leurs cris joyeux et de leurs jeux, jusqu’à faire réagir les quelques vieux vaincus par le jeûne, qui somnolent sur les bancs de pierre de la Djemaa : "Allez jouer ailleurs! Petits diables !" leur crient-ils!
Après le "Ftour", pendant que les hommes se rendent au café improvisé dans un garage désaffecté pour une dernière partie de loto ou de dominos, les femmes s’occupent avec beaucoup de zèle et de ferveur des préparatifs de l’Aïd:
- pétrir la pâte pour les beignets ("Lasfendj"),
- mesurer la « Fethra » (1 décalitre ou "Amoude-n’nvi" de semoule par membre de la famille),
- préparer les friandises à distribuer aux enfants pour le rituel de "Awid-aylaw" (Donne moi ma part),
- et allumer, dans chaque chambre, une bougie.
Pour s’assurer que tout se passe bien, la femme kabyle ("Thamgharth") ne ferme pas l’œil et c’est tard dans la nuit, qu’elle procède à la cuisson des beignets dans une grande poêle pleine aux trois quarts d’une huile d’olive frissonnante, aidée en cela par ses brus et ses filles.
Aux premières lueurs de l’aube, commencent alors les processions de gosses qui vont de porte en porte au chant de "Awid-Aylaw" (Donne moi ma part). Chaque maison est tenue de donner à chaque enfant une poignée d’un mélange fait de bonbons, gâteaux, beignets, d'œufs durs, etc. Certains villageois se rendent directement au cimetière avec des couffins pleins de friandises et c’est là, à côté de la sépulture de leurs chers disparus, qu’ils les distribuent aux nombreux enfants qui se bousculent tout autour en piaillant d’impatience.
Avant la prière de l’Aïd, l’homme charge sur son dos sa "Fethra" et va la remettre au "Tamen" qui procédera à sa répartition entre les pauvres et les nécessiteux, d’abord de son quartier ("Adhroum") puis du village. Mais généralement, la plus grande part est destinée à l’imam du village. Cette "Fethra" constitue pour lui, un élément de sa rétribution.
Précisions :
- Il est utile de préciser que dans l’ancien temps, l’Imam n’était pas salarié de l’État. C’étaient les villageois eux-mêmes qui lui assuraient le gîte et le couvert. Le peu d’argent qu’il gagnait, il le faisait par les "Fatiha" qu’il donnait lors des événements heureux ou malheureux qui animaient la vie sociale du village. Il gagnait quelques sous aussi par les amulettes qu’il écrivait à nos vieilles qui croyaient en ses petits bouts de papiers étrangement pliés et supposés enfermer de "multiples pouvoirs". Le village assurait également au marabout le chauffage en hiver et l’approvisionnant en eau. Il avait sa part dans toutes les récoltes. (Huile, figues sèches etc.) Il était bien gâté notre Imam !
Vers huit heures du matin, à l’entame de l’"Adhan", les villageois pratiquants se rendent à la mosquée pour la prière et les incantations de l’Aïd. Une fois les obligations religieuses achevées, on se congratule, on s’embrasse et chacun rentre chez soi.
A midi, les filles mariées dans le village et les tantes paternelles ("Thiwiliyine") sont invitées pour partager avec la famille un bon couscous accompagné de gros morceaux de viande. L’après-midi ou le lendemain matin, on rend visite aux autres filles mariées à l’extérieur, pour leur porter leur part de viande et de friandises de l’Aïd et les gratifier bien sûr d’un joli billet de banque.
Les filles et les sœurs mariées en dehors du village tiennent beaucoup aux visites que leurs parents leur rendent pendant ou en dehors des fêtes. Par cette attention affectueuse que leur témoignent le père ou le frère, les filles et les sœurs consolident encore davantage leurs places au sein de leurs belles familles et prouvent si de besoin à qui en douterait, combien les leurs tiennent à elles. Mais, comme la perfection n’appartient qu’à Dieu, il arrive quelque fois que ceux-ci soient défaillants et espacent un peu trop leurs visites. Alors les filles et les sœurs, quelque peu tristes et malheureuses, les rappellent à leur devoir de père ou de frère par cet émouvant poème :
"A thighrivine ad3oumth Rebbi adyafk es’shou
Thine isâane agmas achqiq, oulaboud ad’yanoulfou
Mi d’yakka agmi n’tabourth, yekkès elkhiq, yekkès oughounzou".
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Source: "Quelques Us et Coutumes de Kabylie". Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia. Octobre 2011.
18:55 Publié dans Us et coutumes de kabylie | Lien permanent | Commentaires (0)