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07/02/2020

L'organisation sociale en Kabylie

En Kabylie, les habitants du village sont répartis, généralement, en trois catégories : «Imravddhène» les marabouts, « Ihariyene » les hommes libres et « Aklane» les esclaves.

Hormis le mariage, (un homme « Aherri » ne peut pas épouser une « Taklith » et un homme « Akli » ne peut pas épouser une femme « Thaharrith »), tous les autres actes de la vie du village sont vécus de la même manière par les deux catégories sans autres distinctions.

Pour les marabouts, qui ne se marient aussi qu’entre eux, et de par leur statut de « descendants » du Prophète qu’ils revendiquent ou d’érudits, les marabouts sont dispensés des travaux de « Thachemlith », « Thiwizi » ou de toute autre activité communautaire. Leur présence aux évènements sociaux qui animent le village (mariage, décès, zerda, autres travaux, etc.) est symbolique. Elle se limite à la psalmodie des versets coraniques pour laquelle, d’ailleurs, ils sont rétribués par une « ziara », une façon de se prémunir de la malédiction (dhâawassou) dont leur saint grand père serait, semble – il, dépositaire.

Dans l’orthodoxie kabyle, un homme « Aherri » ne peut en aucun cas exercer dans la boucherie. Le métier de boucher est considéré comme vil et ne peut donc être pratiqué par un homme noble, un « Aherri ». C’est pour cela et jusqu’à présent que le métier de boucher est une exclusivité des « Aklane » du moins en Haute-Kabylie.

Souvent « Akli » est assimilé à la couleur noire parce qu’au temps de l’esclavage, cette catégorie sociale n’est composée quasiment que d’hommes noirs. Le sens étymologique du mot « Akli » signifie : homme de peine sans rétribution, qu’il soit blanc ou noir. Il faut ajouter aussi qu’avec le temps, le terme d’« Akli » a pris chez les kabyles, une consonance péjorative aux conséquences parfois dramatiques. Quasiment, chaque village a ses « Aklane » (pluriel d’Akli).

Aklane ont deux origines bien distinctes l’une de l’autre en Kabylie : 

1. Première origine: l’esclavage

Du temps de la traite des noirs, des familles kabyles aisées achetaient des esclaves (souvent noirs). Elles les utilisaient de manière traditionnelle comme hommes de peine et ce, jusqu'à l’abolition de l’esclavage. Lors de l’institution de l’état civil en Kabylie à la fin du 19 ème siècle, les esclaves noirs affranchis ont été enregistrés sous le nom de leurs anciens maîtres (le cas existe chez nous) ou ont pris d’autres noms souvent adaptés.

Une fois doté d’un nom de famille qui sera désormais son patronyme, l’ancien esclave devient un citoyen à part entière. Néanmoins, il portera toute sa vie, sans honte et sans gêne le qualificatif d’Akli. Et ses enfants en hériteront jusqu’à l’infini. 

2. Deuxième origine : auto avilissement pour échapper à la réparation d’un crime de sang

En Kabylie, comme dans d’autres contrées du monde, il arrive que dans un village, des différends puissent naître entre deux familles. Ces différends, qui prennent, quelques fois des proportions très graves, peuvent aller jusqu’au crime de sang. Quand cela arrive, le kabyle ne laisse pas le crime impuni, et cherche à se venger par n’importe quel moyen. Le code de l’honneur est en Kabylie très strict : celui qui a tué doit mourir. C’est la loi du talion dans toute sa rigueur et la notion de prescription est inconnue. (Un cas authentique dans notre village : la victime d’un crime de sang n’a été vengée que trente cinq ans après les faits). Néanmoins, et malgré cette rigidité des mœurs, l’auteur du crime peut tout de même sauver sa tête. De quelle manière ? Me direz-vous ! Eh bien de la manière la plus vile qui soit pour l’orgueil démesuré d’un kabyle.

L’auteur du crime, en accord avec le conseil du village et la famille de la victime, se rend au marché hebdomadaire et va directement à l’abattoir. Devant les membres du village et les représentants de l’Arch, il prend une panse toute dégoulinante d’un bœuf et la pose sur sa tête. Il prend ensuite une partie des intestins de l’animal et un bout de corde (« thamrarth ») qu’il se met autour du cou puis se saisit d’un couteau de boucher et déclare devant l’assistance son auto-avilissement, celui de ses enfants et de toute sa descendance en devenant boucher avec le qualificatif de « Akli ». À partir de ce moment, sa dette de sang s’éteint. S’il a des filles mariées au village, elles sont immédiatement répudiées.

Généralement, l’homme avili vend tous ses biens et quitte définitivement son village pour émigrer vers des contrées plus clémentes où il se fait oublier en optant pour un autre nom de famille.

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Source: "Quelques Us et Coutumes de Kabylie"; Recueil non publié de Youcef AIT-MOHAND, Béjaia, Octobre 2011.